Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/273

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sa demeure obscure et isolée par l’aveu public de son mariage avec le comte ; en développant ses arguments avec tout l’art dont elle était capable, elle comptait principalement sur la chaleur des prières dont elle les appuyait. Quelquefois elle s’aventurait à y mêler des reproches dont Leicester croyait avoir de justes motifs de se plaindre.

« Je l’ai faite comtesse, » disait-il à Varney ; « certainement elle pourrait attendre que ce fût mon plaisir de lui en faire prendre la couronne. »

La comtesse Amy voyait les choses sous un tout autre aspect.

« Que signifie, disait-elle, d’avoir en réalité ce rang et ces honneurs, si je dois vivre dans l’obscurité d’une prison, sans société ni considération, exposée chaque jour à être outragée comme une personne d’une réputation équivoque ? Je ne fais aucun cas, Jeannette, de ces cordons de perles que tu places dans mes tresses au détriment de ma pauvre tête. Je te dis qu’à Lidcote-Hall, il suffisait que je misse dans mes cheveux une rose fraîchement cueillie, pour que mon bon père m’appelât à lui pour voir ma coiffure de plus près ; et le bon vieux ministre souriait, et M. Mumblazen disait quelques mots sur les roses de gueule. Maintenant je suis ici couverte d’or et de pierreries comme une madone, et il n’y a personne pour voir ma parure que toi, ma Jeannette. Il y avait aussi le pauvre Tressilian… Mais à quoi bon parler de lui ?

— En effet, dit Jeannette, cela ne sert de rien, et franchement vous me faites quelquefois désirer que vous ne parliez pas de lui si souvent et si imprudemment.

— Tes avis sont complètement inutiles, Jeannette. Je suis née libre, quoique je sois renfermée comme une belle esclave d’Orient plutôt que comme la femme d’un seigneur anglais. J’ai tout supporté avec plaisir, tant que j’ai été sûre qu’il m’aimait ; mais à présent, qu’ils enchaînent mes membres comme ils voudront, mon cœur et ma langue seront libres. Je te le dis, j’aime mon époux ; je l’aimerai jusqu’à mon dernier soupir. Je ne pourrais cesser de l’aimer quand même je le voudrais, quand même, ce qui, Dieu le sait, peut fort bien arriver, il cesserait de m’aimer. Mais je le dirai, et le dirai hautement, j’eusse été plus heureuse que je ne suis si j’étais restée à Lidcote-Hall, eussé-je dû même épouser ce pauvre Tressilian avec son air mélancolique et sa tête pleine de science, dont je ne me souciais nullement. Il me disait que si je voulais lire ses livres favoris, il viendrait un temps où je me réjouirais de l’avoir fait… Je crois que ce temps est venu.