Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/258

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— Êtes-vous fou, l’ami ? » dit la comtesse avec sévérité, « ou pensez-vous que, parce que j’ai bonnement acheté vos mauvaises marchandises à un prix qu’il a plu à votre friponnerie de me les faire, vous pouvez me faire croire tous les mensonges qu’il vous plaira ? Qui jamais a entendu dire que les affections du cœur pussent être guéries par les médecines données au corps ?

— Sous votre bon plaisir, dit Wayland, je suis un honnête homme, et je vous ai vendu de bonnes marchandises à un prix honnête. Quant à cette médecine précieuse, lorsque je vous en ai énuméré les qualités, je ne vous ai point demandé de l’acheter ; pourquoi donc vous mentirais-je ! Je ne prétends pas qu’elle puisse guérir une affection de l’âme depuis long-temps enracinée, ce que Dieu et le temps ont seuls le pouvoir de faire ; mais j’affirme que ce restaurant chasse les vapeurs noires qu’engendre dans le corps la mélancolie qui tourmente l’esprit. J’ai guéri ainsi plus d’une personne de la cour et de la ville, et en dernier lieu un M. Edmond Tressilian, digne gentilhomme de Cornouailles, lequel par suite, à ce qu’on m’a dit, des dédains d’une personne à laquelle il avait voué ses affections, était tombé dans un état de mélancolie qui faisait craindre pour sa vie. »

Il se tut, et la dame garda le silence pendant quelques instants ; puis elle demanda d’une voix à laquelle elle essaya vainement de donner le ton de l’indifférence et de la fermeté : « Le gentilhomme dont vous venez de me parler est-il parfaitement rétabli ?

— Passablement, madame, répondit Wayland ; du moins il n’éprouve aucune souffrance physique.

— Je prendrai un peu de cette médecine, Jeannette, dit la comtesse. Moi aussi j’éprouve quelquefois cette sombre mélancolie qui trouble le cerveau.

— Vous ne le ferez pas, madame, dit Jeannette ; qui peut vous répondre que la drogue que vend cet homme n’est pas malfaisante ?

— Je serai moi-même le garant de ma bonne foi, » dit Wayland ; et prenant une certaine quantité de sa drogue, il l’avala devant elles. La comtesse, excitée encore davantage par les objections de Jeannette, acheta alors le reste. Elle en prit même sur-le-champ une première dose, et déclara qu’elle se sentait le cœur plus léger et un redoublement de force vitale, effet qui, selon toute probabilité, n’existait que dans son imagination. La dame ensuite rassembla toutes les emplettes qu’elle venait de faire, et jetant sa bourse à Jeannette, l’engagea à faire le compte et à payer le colporteur.