Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/247

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m’arrêter ici pour saluer mon digne oncle… Jésus ! le sang ne doit jamais perdre ses droits entre amis… Un gallon de votre meilleur, mon oncle, et faites courir à la ronde la santé du noble comte Leicester. Quoi ! ne trinquerons-nous pas ? ne réchaufferons-nous pas notre vieille amitié ? ne trinquerons-nous pas, vous dis-je ?

— De tout mon cœur, mon neveu, » dit l’hôte qui évidemment voulait se débarrasser de lui ; « mais as-tu le moyen de payer toute cette bonne liqueur ? »

Une semblable question a plus d’une fois démonté plus d’un joyeux buveur, mais elle ne changea nullement les dispositions de Lambourne. « Vous mettez en doute mes moyens, mon oncle, » dit-il en tirant de sa poche une poignée de pièces d’or et d’argent. « Doutez donc des ressources du Mexique et du Pérou ; doutez du trésor de la reine. Dieu protège Sa Majesté : elle est la maîtresse de mon bon maître.

— Fort bien, mon neveu ; mon métier est de vendre du vin à qui peut le payer… ainsi donc, John Tapster, à l’ouvrage ! Mais je voudrais bien savoir gagner l’argent aussi facilement que toi.

— Eh bien ! mon oncle, dit Lambourne, je vais te dire un secret. Tu vois bien ce petit vieillard, il est aussi ridé, aussi sec qu’aucun morceau que le diable mit jamais dans son potage… et pourtant, mon oncle, entre nous, il a le Potose dans son cerveau… Corbleu ! il peut faire des ducats en moins de temps qu’il ne m’en faut pour lâcher un juron.

— Je ne veux pourtant pas avoir de sa monnaie dans ma bourse, Michel, dit mon hôte. Je sais ce que l’on gagne à contrefaire la monnaie de la reine.

— Tu es un âne, mon oncle, tout vieux que tu es. Ne me tire pas par les basques de mon habit, docteur, tu es aussi un âne bâté… Cela posé que vous êtes tous des ânes, je vous déclare que je n’ai parlé que par métaphore.

— Êtes-vous fou ? dit le vieillard ; avez-vous le diable au corps ? ne pouvez-vous nous laisser partir sans attirer sur nous les regards de tout le monde ?

— Que dis-tu ? reprit Lambourne ; tu te trompes. Personne ne te regardera, si je dis un mot. Par le ciel ! messieurs, si quelqu’un ose arrêter ses regards sur ce vieux gentilhomme, je lui arracherai les yeux de la tête avec mon poignard… Ainsi donc, asseyez-vous, mon vieil ami, et soyez joyeux. Tous ces gens-là sont mes anciens camarades et ne trahiront personne.