Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/241

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on extrait la vie elle-même d’un œuf inanimé, on tire une liqueur pure et vivifiante d’une lie impure, on donne le mouvement à la substance inerte d’un liquide stagnant ?

— J’ai déjà entendu tout cela, dit Varney, et je suis à l’épreuve d’un pareil jargon, depuis que, novice comme j’étais, j’ai lâché, pour avancer le grand œuvre, vingt bonnes pièces d’or qui, Dieu aidant, se sont toutes évanouies in fumo. Depuis ce moment où j’ai acheté ma liberté d’opinion, je défie la chimie, l’astrologie, la chiromancie et toute autre science occulte, fût-elle aussi secrète que l’enfer lui-même, de délier les cordons de ma bourse. Pourtant je ne défie pas la manne de Saint-Nicolas, et je ne puis m’en passer. Ton premier soin doit être d’en préparer pendant que tu seras là-bas dans ma petite solitude ; et ensuite tu pourras faire de l’or tant que tu voudras.

— Je ne veux plus faire de cette drogue, » dit l’alchimiste d’un ton résolu.

« Hé bien ! dit l’écuyer, tu seras pendu pour ce que tu en as déjà fait, et de cette façon le grand secret sera à jamais perdu pour l’humanité. Ne fais pas ce tort à l’humanité, mon bon père, soumets-toi plutôt à ta destinée, et prépare-nous une once ou deux de la même drogue, quantité qui peut nuire tout au plus à deux personnes, afin de prolonger ta vie assez long-temps pour découvrir la panacée qui nous délivrera à la fois de toutes les maladies. Mais déride-toi un peu, toi le plus grave, le plus savant et le plus triste des fous. Ne m’as-tu pas dit qu’une dose modérée de ta drogue peut n’avoir que des effets très doux, nullement dangereux pour le système humain, en se bornant à produire un abattement général, des nausées, des maux de tête et de la répugnance à changer de place, enfin une disposition d’esprit telle que celle qui empêcherait un oiseau de s’envoler, si on laissait la porte de sa cage ouverte ?

— Je l’ai dit, et c’est la vérité, dit l’alchimiste ; tel est l’effet qu’elle produira, et l’oiseau qui en prendra dans cette proportion restera toute la saison languissant sur son perchoir, sans penser ni à l’azur du ciel, ni à la charmante verdure des bois voisins, même quand l’un serait éclairé par les rayons du soleil levant, et que l’autre retentirait du chant matinal de tous ses hôtes ailés.

— Et cela sans aucun danger de la vie ? » dit Varney avec quelque anxiété.

« Oui, pourvu qu’on ne dépasse pas la dose voulue, et qu’une personne qui connaisse bien la nature de la manne soit toujours là pour