Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/223

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de dire Sa Révérence le doyen de Saint-Asaph. Il y a quelques vers, par exemple… Je voudrais que mon neveu Sidney fût ici, il les a presque toujours à la bouche… Ils se trouvent dans un conte sur des féeries, des charmes amoureux, et je ne sais quoi encore ; mais ils sont fort beaux, quoiqu’ils soient bien au-dessous du sujet auquel il osait faire allusion.

— Vous nous faites éprouver le supplice de Tantale, milord, dit la reine. Philippe Sidney, nous le savons, est un favori des muses, et nous nous en réjouissons. Jamais la valeur ne brille avec plus d’avantage que quand elle est unie au bon goût et à l’amour des lettres. Mais quelqu’un, je pense, de nos jeunes courtisans se rappellera ce que Votre Seigneurie a oublié au milieu d’affaires plus importantes. Monsieur Tressilian, on vous a dépeint à nous comme un adorateur de Minerve… Vous rappelez-vous ces vers ? »

Tressilian avait le cœur trop affligé, ses espérances de bonheur avaient été trop cruellement déçues, pour qu’il saisît l’occasion que lui offrait la reine de fixer son attention ; mais il résolut de transférer cette faveur à un jeune ami plus ambitieux. S’excusant donc sur son prétendu défaut de mémoire, il ajouta qu’il croyait que les beaux vers dont avait parlé milord Leicester étaient encore présents au souvenir de Walter Raleigh.

Par l’ordre de la reine, le jeune cavalier récita avec un accent et un goût qui ajoutaient encore à la délicatesse exquise de ce morceau, la célèbre vision d’Oberon[1] :

« En même temps je vis (tu ne pouvais le voir), je vis l’amour voler tout armé contre la froide lune et la terre. Son œil, sa main visaient une belle vestale aux blonds cheveux, assise sur un trône de l’Occident. La flèche partit avec une force capable de percer cent mille cœurs ; mais les chastes et humides rayons de la lune amortirent le trait de l’amour ; et la royale vestale suivit sans trouble le cours glorieux de ses pensées virginales. »

La voix de Raleigh en récitant le dernier vers devint un peu tremblante, comme s’il eût été incertain de la manière dont la souveraine à qui cet hommage était rendu l’accueillerait, quelque délicat qu’il fût. Si cette défiance était affectée, c’était une bonne politique ; si elle était réelle, elle avait peu de fondement. Ces vers n’étaient probablement pas nouveaux pour la reine ; car une flatterie aussi fine fut-elle jamais long-temps à parvenir aux oreilles royales auxquelles elle s’adressait ? Quoi qu’il en soit, déclamée par Raleigh, elle n’en fut pas moins bien reçue. Également char-

  1. Shakspeare, le Songe d’une nuit d’été, acte II, scène iii. a. m.