Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/210

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barras, qu’il acceptait son invitation. Tandis que les deux comtes échangeaient leurs compliments à ce sujet, la reine dit à son grand trésorier : « Il me semble que les physionomies de ces deux nobles pairs ressemblent à ces deux fameuses rivières classiques, dont l’une était si triste et si noire, l’autre si noble et si limpide. Mon vieux maître Ascham me grondera pour avoir oublié l’auteur qui en parle ; c’est César, il me semble. Voyez quel calme majestueux sur le front de Leicester, tandis que Sussex semble le complimenter comme s’il ne faisait notre volonté qu’à regret.

— Le doute de la faveur de Votre Majesté, répondit le lord trésorier, est peut-être cause de cette différence qui, comme toute autre chose, n’échappe pas à l’œil de Votre Majesté.

— Un pareil doute serait injurieux, milord, répondit la reine. Tous deux nous sont également chers, et nous les emploierons tous deux à d’honorables services pour le bien de notre royaume. Mais il est temps de mettre fin à leur entrevue… Milords Sussex et Leicester, nous avons encore un mot à vous dire : Tressilian et Varney sont attachés à vos personnes… vous aurez soin qu’ils nous suivent à Kenilworth ; et comme nous aurons alors près de nous Pâris et Ménélas, nous voulons aussi y voir la belle Hélène dont l’inconstance a causé cette querelle. Varney, ta femme viendra à Kenilworth, et se tiendra prête à paraître devant nous… Milord Leicester, vous veillerez à l’exécution de cet ordre. »

Le comte et son écuyer s’inclinèrent et se relevèrent sans oser regarder la reine, ni même se regarder l’un l’autre ; car tous deux en ce moment se sentaient sur le point d’être enveloppés dans leurs propres filets. La reine cependant ne remarqua pas leur confusion. « Milords Sussex et Leicester, ajouta-t-elle, nous avons besoin de votre présence au conseil privé que nous allons tenir et où doivent être discutées d’importantes affaires. Ensuite nous irons faire une promenade sur l’eau pour nous distraire, et vous nous y accompagnerez. Ceci nous rappelle une circonstance relative à cet écuyer au manteau sale, » dit-elle à Raleigh en souriant ; « ne manquez pas de vous souvenir que vous devez nous suivre dans notre voyage. On vous fournira les moyens de remonter convenablement votre garde-robe. »

Ainsi se termina cette mémorable audience, dans laquelle Élisabeth, comme dans tout le cours de sa vie, unit les caprices, apanage de son sexe, à ce bon sens et à cette politique profonde que ni homme ni femme n’ont possédés à un plus haut degré.