Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/208

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plus clairvoyant dans vos affections. Nos conseils sont plutôt puisés dans les écrits des savants que dans notre connaissance personnelle, notre rang et notre volonté nous ayant constamment interdit toute expérience de cette frivole passion. Pour le père de cette dame, nous pouvons adoucir sa peine en élevant son gendre à un poste qui lui permettra de maintenir son épouse sur un pied honorable. Toi-même, Tressilian, tu ne seras pas oublié… Suis notre cour, et tu verras qu’un Troïlus a quelques droits à notre faveur. Pense à ce que dit le bizarre Shakspeare[1]. Peste soit de lui ! ses fadaises me viennent à l’esprit quand je devrais penser à autre chose. Voyons… comment dit-il ?

Par de célestes nœuds Cresside était à vous ;
Mais ces liens du ciel sont rompus et dissous ;
Elle a donné sa main à quelque autre volage,
Sa flamme à Diomède est échue en partage.

Vous souriez, milord Southampton, peut-être ma mauvaise mémoire estropie-t-elle les vers de votre auteur favori… Mais c’en est assez, qu’il ne soit plus question de cette affaire. »

Puis, comme Tressilian restait dans l’attitude d’un homme qui aurait désiré d’être entendu, attitude pourtant pleine de respect, la reine ajouta avec quelque impatience : « Que veut-il encore ? Cette jeune fille ne peut pas vous épouser tous deux. Elle a fait son choix… Peut-être n’a-t-il pas été très sage, mais enfin elle est la femme de Varney.

— Si cela était, gracieuse souveraine, mes réclamations s’arrêteraient là, et avec mes réclamations expirerait ma vengeance. Mais je ne regarde pas la parole de ce Varney comme un gage de vérité.

— Si ce doute avait été exprimé partout ailleurs, répondit Varney, mon épée…

— Ton épée, » répéta Tressilian d’un ton de mépris ; « avec la permission de Sa Majesté, la mienne te fera voir…

— Silence, insolents ! dit la reine ; savez-vous bien où vous êtes ? Voilà le fruit de vos dissentions, milords, » ajouta-t-elle en regardant Leicester et Sussex ; « vos partisans prennent vos manières, et viennent se quereller et se défier jusqu’en ma présence comme de vrais matamores… Écoutez bien, messieurs, celui qui parlera de tirer l’épée pour une autre cause que la mienne ou celle de l’Angleterre, sur mon honneur, je lui ferai mettre des bracelets de fer aux poignets et aux jambes. » Alors elle s’arrêta un instant, et

  1. Dans le drame de Troïlus et Cressida, acte v, scène ii. a. m.