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lord Leicester fît connaître en quoi je l’ai, comme il dit, outragé, car ma bouche n’a jamais prononcé un mot que je ne sois prêt à soutenir à pied et à cheval.

— Et quant à moi, madame, dit Leicester, sous le bon plaisir de ma gracieuse souveraine, mon bras sera toujours aussi prêt à soutenir mes paroles que celui de quiconque a jamais signé du nom de Ratcliffe.

— Milords, dit la reine, ce ne sont pas des discours qui doivent se tenir en notre présence, et si vous ne pouvez conserver votre sang-froid, nous trouverons des moyens de vous contenir tous deux. Donnez-vous la main, milords, et oubliez vos vaines animosités. »

Les deux rivaux se regardèrent l’un l’autre avec un air de dépit, qui annonçait combien il répugnait à chacun d’eux de faire les premières avances pour obéir à l’ordre de la reine.

« Sussex, dit Élisabeth, je vous en prie ; Leicester, je vous l’ordonne. »

Toutefois ces mots furent prononcés de telle manière, que la prière avait le ton du commandement, et le commandement celui de la prière… Ils demeurèrent pourtant encore immobiles jusqu’au moment où la reine éleva la voix assez haut pour montrer son impatience et sa volonté d’être obéie sur-le-champ.

« Sir Henri Lee, » dit-elle à un officier de service, « veillez à ce qu’une garde se tienne prête, et faites sur-le-champ avancer un bateau… Milord Sussex, milord Leicester, je vous commande encore une fois de vous donner la main ; et, par la mort de Dieu ! celui qui s’y refusera tâtera de notre tour[1] et ne verra pas de long-temps notre visage. J’abaisserai vos cœurs orgueilleux avant que nous nous séparions, je vous le promets sur ma parole de reine.

— La prison, dit Leicester, on pourrait la supporter ; mais perdre la présence de Votre Majesté, ce serait perdre à la fois la lumière et la vie. Sussex, voici ma main.

— Et voici la mienne, dit Sussex, en toute conscience et en tout honneur ; mais…

— Ne dites pas un mot de plus, sous peine de perdre notre faveur, dit la reine. Bien, je suis satisfaite, » ajouta-t-elle en les regardant d’un œil plus favorable ; « et quand vous, qui êtes les pasteurs du peuple, vous vous unirez pour le protéger, tout ira bien pour le troupeau que nous sommes chargée de conduire. Car, milords, je vous le dis franchement, vos extravagances et vos que-

  1. La tour de Londres, prison d’état. a. m.