Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/183

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tueuse et d’admiration ardente quoique modeste : cette attitude convenait si bien à sa charmante figure, que les gardes, frappés de ses riches vêtements et de sa noble tournure, le laissèrent approcher de l’endroit par où la reine devait passer, un peu plus près qu’il n’était permis aux simples spectateurs. De cette façon, le jeune téméraire se trouva exposé en plein aux regards d’Élisabeth, dont l’œil n’était jamais indifférent à l’admiration qu’elle excitait à juste titre parmi ses sujets, ni aux avantages extérieurs qu’elle remarquait dans quelqu’un de ses courtisans. Aussi, comme elle approchait de l’endroit où était Walter, elle arrêta son œil perçant sur ce jeune homme ; elle le regardait même d’un air où la surprise que lui causait sa hardiesse n’était mêlée d’aucun déplaisir, lorsqu’un incident de peu d’importance appela plus particulièrement son attention sur lui. La nuit avait été pluvieuse, et précisément à la place où était Walter un peu de boue gênait le passage de la reine. Comme elle hésitait à avancer, le galant chevalier, détachant son manteau de ses épaules, l’étendit sur l’endroit fangeux, afin que la reine pût y passer à pied sec. Élisabeth regarda le jeune homme, qui accompagna cet acte de courtoisie exquise d’un profond salut, en même temps qu’une vive rougeur se répandait sur toute sa figure. La reine confuse rougit à son tour, lui fit un signe de tête, passa rapidement, et monta dans sa barque sans dire un mot.

« Allons, monsieur le fat, dit Blount, votre manteau aura besoin d’un bon coup de brosse aujourd’hui. Par ma foi, puisque vous aviez l’intention d’en faire un tapis de pied, il eût mieux valu garder le manteau de bure de Tracy ; celui-là du moins ne craint pas les taches.

— Ce manteau, » dit Walter en le ramassant et le pliant, « ne sera jamais brossé, tant qu’il sera en ma possession.

— Et il ne durera pas long-temps si vous ne le ménagez pas davantage. Nous vous verrons bientôt en cuerpo[1], comme disent les Espagnols. »

Leur conversation fut interrompue par l’arrivée d’un des gentilshommes pensionnaires.

« Je suis envoyé, » dit-il après avoir regardé attentivement, « pour chercher un gentleman qui n’a pas de manteau, ou qui a crotté le sien. C’est vous, je crois, » dit-il en s’adressant à Walter ; « ayez la bonté de me suivre.

  1. En corps ; c’est-à-dire, tout nu. a. m.