Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/165

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« Prends ton épée et ton bouclier, et suis-moi alors, dit Tressilian ; je veux aussi la visiter, et nous sortirons de compagnie. «

Tressilian avait un motif pour parler ainsi ; il n’était pas assez sûr de la fidélité de son nouveau serviteur pour le perdre de vue dans un moment où les deux factions qui partageaient la cour étaient aux prises plus que jamais. Wayland acquiesça sans peine à cette précaution, dont il soupçonnait probablement les motifs ; il stipula seulement que son maître entrerait avec lui dans les boutiques de quelques apothicaires ou chimistes qu’il lui désignerait en traversant Fleet-Street[1], et lui permettrait de faire quelques emplettes qui lui étaient nécessaires. Tressilian y consentit, et, docile aux indications de son domestique, il entra successivement dans quatre ou cinq boutiques, où il observa que Wayland n’acheta qu’une seule drogue à la fois, et en diverses quantités. Wayland obtint sans peine l’un après l’autre ces médicaments qu’il demanda les premiers, mais ceux qu’il chercha ensuite, il les trouva moins facilement ; et Tressilian observa encore que son domestique, à la grande surprise du marchand, refusait la gomme ou la plante qui lui était présentée, s’en faisait donner de meilleure qualité, ou bien allait en demander ailleurs. Il y eut pourtant un de ces ingrédients qu’il semblait presque impossible de trouver. Quelques droguistes avouaient franchement qu’ils ne l’avaient jamais vu ; d’autres niaient qu’une pareille drogue eût jamais existé autre part que dans le cerveau malade des alchimistes ; mais la plupart, voulant satisfaire l’acheteur, lui offraient une autre drogue, et quand Wayland la repoussait comme n’étant pas celle qu’il avait demandée, ils soutenaient qu’elle possédait les mêmes vertus, même à un plus haut degré. Un vieil apothicaire à pauvre mine, à qui l’artiste fit sa demande accoutumée en termes que Tressilian ne comprit pas, et ne put retenir, répondit avec franchise qu’il n’y avait personne qui possédât de cette drogue à Londres, à moins que le juif Yoglan n’en eût encore.

« Je m’en doutais, » dit Wayland ; et aussitôt qu’ils furent sortis de la boutique : « Je vous demande pardon, monsieur, dit-il à Tressilian, mais un ouvrier ne saurait travailler sans outils. Il faut absolument que j’aille chez Yoglan, et je vous assure que si cela vous retient plus long-temps que vos affaires ne semblent le permettre, vous en serez bien dédommagé par l’usage que je ferai de cette drogue si rare. Permettez-moi, ajouta-t-il, de marcher de-

  1. Rue très marchande de la Cité, à Londres. a. m.