Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courut rejoindre sur-le-champ, après avoir demandé pardon à ses hôtes. Il ne fut pas plus tôt parti que Wayland Smith exprima par les épithètes les plus flétrissantes son propre mépris pour un imbécile qui se laissait ainsi mener par sa femme ; il ajouta que, si ce n’eût été pour les chevaux, qui avaient besoin de repos et de nourriture, il eût conseillé à son digne maître, M. Tressilian, de pousser phis loin, plutôt que de payer un écot à un sot, à un benêt, à une poule mouillée comme ce Gaffer Crane.

L’arrivée d’un bon plat de jarrets de bœuf et de lard adoucit un peu la mauvaise humeur de l’artiste, qui se dissipa entièrement à la vue d’un magnifique chapon, rôti avec tant de délicatesse que la barde, suivant l’expression de Wayland, en était aussi juteuse que le lis mouillé par la rosée de mai. Gaffer Crane et son excellente moitié devinrent alors à ses yeux des personnes industrieuses, empressées et complaisantes à l’excès.

Conformément aux usages du temps, le maître et son serviteur s’assirent à la même table ; mais ce dernier observa avec regret que Tressilian faisait peu d’honneur au repas. Il se rappela la peine qu’il lui avait faite en lui parlant de la jeune fille dans la compagnie de laquelle il l’avait vu pour la première fois ; mais craignant de toucher une corde aussi délicate, il préféra attribuer son manque d’appétit à une autre cause.

« Ces mets sont peut-être trop grossiers pour votre palais, » dit-il au moment où le dernier membre du chapon disparaissait sous sa fourchette ; « mais si vous aviez demeuré aussi long-temps que moi dans le souterrain que Flibbertigibbet a transporté dans une région supérieure, et dans lequel j’osais à peine faire cuire mes aliments, de peur que la fumée ne me trahît, vous feriez plus de fête à un chapon gras.

— Si ce mets te plaît, dit Tressilian, j’en suis charmé : mais dépêche-toi, si tu peux ; car cet endroit n’est pas sûr pour toi, et mes affaires exigent que nous fassions du chemin. »

En conséquence ils ne donnèrent à leurs chevaux que le temps absolument nécessaire à leur repas, et ils poursuivirent leur voyage, à marche forcée, jusqu’à Bradford, où ils passèrent la nuit.

Le lendemain matin ils se remirent en route de bonne heure ; mais pour ne pas fatiguer le lecteur par des détails superflus, nous terminerons en disant qu’ils traversèrent, sans aventures, les comtés de Wiltshire et de Sommerset, et que le troisième jour après que Tressilian eut quitté Cumnor, ils arrivèrent à midi au