Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gleur en dévoilant les mystères de son art, avec autant d’habileté que si vous aviez été un de ses confrères. Vraiment, c’était une si belle fille que, pour obtenir un sourire d’elle, un homme aurait…

— Ne parle plus d’elle, je te le défends ! dit Tressilian. Je me rappelle parfaitement la soirée dont tu parles, qui est du petit nombre des soirées heureuses que j’aie jamais connues.

— Elle est donc partie ? » dit le maréchal, interprétant à sa manière le soupir dont Tressilian avait accompagné ces paroles. « Elle est partie ! si jeune, si belle, aimée comme elle l’était !… Je vous demande pardon, je n’aurais pas porté le marteau par là… Je vois que sans le vouloir j’ai enfoncé le clou jusqu’au vif. »

Ces paroles furent prononcées avec une expression de sensibilité âpre et naïve qui disposa favorablement Tressilian à l’égard du pauvre artisan que d’abord il avait jugé avec une sévérité excessive. Mais rien n’attire aussi puissamment l’infortuné qu’une compassion réelle ou apparente pour ses chagrins.

« Je crois me rappeler, » ajouta Tressilian après un moment de silence, « que tu étais alors un joyeux compagnon, en état d’amuser une société par tes chansons, tes contes et ton violon, aussi bien que par tes tours de jongleur : d’où vient que je te trouve aujourd’hui ouvrier laborieux, exerçant ta profession dans un séjour aussi triste et d’une manière si étrange ?

— Mon histoire n’est pas longue, dit l’artiste, mais Votre Honneur ferait bien de s’asseoir pour l’écouter. » En disant ces mots, il approcha du feu un tabouret à trois pieds, et en prit un autre pour lui, tandis que Richard Sludge, dit Flibbertigibbet, comme il appelait l’enfant, s’assit sur un escabeau aux pieds du maréchal, le regardant en face avec une figure qui, à la lueur du feu de la forge, paraissait animée de la plus vive curiosité. « Et toi aussi, lui dit le maréchal, tu apprendras la courte histoire de ma vie, qu’il serait injuste à moi de te cacher. Du reste, autant vaut te la raconter que te la laisser deviner, car la nature n’a jamais renfermé un esprit plus subtil sous une enveloppe plus disgracieuse… Eh bien ! monsieur, si ma pauvre histoire peut vous faire plaisir, je suis à vos ordres… Mais n’accepterez-vous pas une goutte de liqueur ? Je vous assure que, malgré la pauvreté de ma demeure, j’en ai toujours en réserve.

— Laissons cela, dit Tressilian ; mais raconte vite ton histoire, le temps presse.

— Vous ne serez point fâché de ce retard, dit le maréchal ; pen-