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— Et pourquoi me le dites-vous à moi, mon enfant ?

— Parce que vous êtes un autre homme que ceux que nous voyons chaque jour ici ; et quoique je sois aussi laid que le péché, je ne voudrais pas que vous me prissiez pour un âne, d’autant plus que je puis avoir un jour à vous demander une grâce.

— Et quelle est-elle, mon garçon, puisque je ne puis vous appeler mon gentil garçon ?

— Oh ! si je vous la demandais maintenant, vous me la refuseriez… mais j’attendrai que nous nous rencontrions à la cour.

— À la cour, Richard ! êtes-vous destiné à aller à la cour ?

— Bon ! vous voilà comme les autres. Je gage que vous vous demandez ce qu’irait faire à la cour un bambin aussi disgracié de la nature. Mais laissez faire Richard Sludge ; ce n’est pas pour rien que j’ai été ici le coq du poulailler. Je ferai oublier ma laideur à force d’esprit.

— Mais que diront votre grand’mère et votre précepteur Domine Holyday ?

— Ce qui leur plaira : l’une a ses poulets à compter, l’autre ses enfants à fouetter. Il y a long-temps que je les eusse plantés là, et que j’eusse montré une belle paire de talons à ce mauvais hameau, si Domine ne m’eût promis de m’emmener avec lui pour me faire jouer un rôle dans la première fête qu’il dirigera, et il doit y avoir bientôt, dit-on, de grandes réjouissances.

— Et où doivent-elles avoir lieu, mon petit ami ?

— Oh ! dans quelque château bien loin dans le nord, à cent lieues du Berkshire. Mais notre vieux Domine prétend qu’on ne peut se passer de lui ; et il se peut qu’il ait raison, car il a déjà dirigé plus d’une fête. Il n’est pas à moitié aussi sot que vous pourriez le croire, quand il fait une besogne à laquelle il s’entend ; vous le voyez cracher des vers comme un acteur, et Dieu sait que si vous le chargiez de dérober un œuf d’oie, il se laisserait battre par la couveuse.

— Et vous devez jouer un rôle dans la prochaine fête ? « dit Tressilian, intéressé par la hardiesse des discours de cet enfant et la finesse de ses jugements sur les personnes.

« Vraiment, répondit Richard Sludge, il me l’a promis, et s’il me manque de parole ce sera tant pis pour lui ; car si une fois je prends le mors aux dents et si je tourne le dos au village, je le secouerai de telle sorte, qu’il pourra arriver qu’en tombant il se rompe les os. Et cependant je n’aimerais pas à lui faire du mal, car le pau-