Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/124

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avait peut-être envie de se débarrasser de son hôte ; « il faut aller quand le diable nous pousse.

Do manus[1], dit le magister ; j’y consens en prenant le monde à témoin que j’ai prévenu cet honorable gentleman du tort qu’il se fait et fera à son âme, s’il devient ainsi une des pratiques de Satan. Du reste, je ne veux pas y conduire mon hôte ; j’y enverrai mon disciple. Ricarde ! adsis, nebulo[2].

— Avec votre permission, il n’en sera pas ainsi, répondit la vieille ; vous pouvez mettre votre âme en péril, si vous voulez ; mais mon fils ne bougera pas pour un pareil message. Vraiment, je m’étonne, domine doctor, que vous ayez la pensée de donner au petit Dickie une semblable commission.

— Allons, ma bonne Gammer Sludge, répondit le précepteur, Ricardus ira seulement jusqu’au haut de la colline, pour indiquer du doigt à cet étranger la demeure de Wayland Smith. N’ayez pas peur qu’il lui arrive malheur : ce matin il a lu à jeun un chapitre des Septante, et pris en outre une leçon de grec dans le nouveau Testament.

— Et puis, ajouta la mère, j’ai cousu dans le collet de son pourpoint une petite branche de l’orme de la sorcière, depuis le moment que ce méchant garnement a commencé à opérer sur bêtes et gens dans ces cantons.

— Et comme il va souvent, à ce que je soupçonne, du côté de ce sorcier pour s’amuser, il peut y aller une fois pour nous faire plaisir et rendre service à cet étranger. Ergo, heus ! Ricarde ! adsis, quœso, mi didascule[3]. »

Le disciple, appelé de cette manière affectueuse, arriva enfin en traînant la jambe. C’était un enfant d’un aspect disgracieux, mal bâti, qui, pour la taille, semblait n’avoir que douze ou treize ans, quoique probablement il en eût un ou deux de plus ; sa chevelure rouge carotte était tout en désordre, son visage brûlé du soleil et couvert de taches de rousseur, son nez camard, son menton pointu, et ses deux yeux gris, qui avaient une singulière obliquité, sans être précisément louches, avaient du moins tout l’air de l’être. Il était impossible de regarder ce petit bonhomme sans éprouver l’envie de rire, surtout lorsque Gammer, le saisissant dans ses bras et le baisant affectueusement, en dépit de ses coups de poing et de

  1. J’y donne la main. a. m.
  2. Richard, viens ici, petit drôle. a. m.
  3. Donc, holà, Richard ! viens près de moi, je te prie, mon disciple. a. m.