Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/449

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On dépêchera bientôt un exprès de Londres afin de m’assigner un lieu pour ma résidence, et j’enverrai promptement vous dire dans quel endroit ma petite cour sera formée.

— Votre cour formée en Angleterre ! et tandis qu’Élisabeth vit et occupe le trône ? dit l’abbé ; ce sera quand nous verrons deux soleils dans le ciel.

— Ne croyez pas cela, reprit la reine ; nous sommes persuadée de la foi de notre sœur. Élisabeth aime sa renommée, et tout ce qu’elle en a gagnée par son pouvoir et par sa sagesse n’égalera pas ce qu’elle en acquerra en étendant son hospitalité sur une sœur infortunée ! non, tout ce qu’elle pourrait faire par la suite de bon, de grand et de sage, n’empêcherait pas le reproche qu’on lui ferait d’avoir abusé de notre confiance. Adieu, mon page ; maintenant, mon chevalier, adieu pour peu de temps ! Je sécherai les larmes de Catherine, ou je pleurerai avec elle jusqu’à ce que nous ne puissions plus pleurer. » Elle tendit sa main à Roland, qui, se précipitant à ses genoux, la baisa avec la plus vive émotion. Il était prêt à rendre le même hommage à Catherine, quand la reine affectant un air de vivacité, dit : « sur ses lèvres, maladroit ! Allons, Catherine, tu peux le permettre ; les gentilshommes anglais doivent voir, que, même dans notre froid climat, la beauté sait comment elle peut récompenser la bravoure et la fidélité !

— Nous n’avons pas attendu jusqu’à présent pour apprécier la valeur des habitants d’Écosse et le pouvoir des beautés qu’elle renferme, dit le shérifï de Cumberland avec courtoisie. Je voudrais qu’il fût en mon pouvoir d’accueillir en Angleterre les personnes disposées à suivre celle qui est elle-même reine des beautés écossaises, et de leur prodiguer tous les égards qu’elles méritent ; mais notre reine a donné des ordres positifs pour le cas qui se présente maintenant, et ces ordres doivent être scrupuleusement exécutés par son sujet. Puis-je rappeler à Votre Majesté que la marée est favorable ? »

Le shériff prit la main de la reine ; et elle avait déjà posé le pied sur l’espèce de pont factice qu’on avait jeté pour la faire entrer dans l’esquif, quand l’abbé, sortant de la stupeur où l’avaient fait tomber les paroles du shériff, s’élança dans l’eau et saisit la reine par le bord de sa mante.

« Elle l’a prévu ! elle l’a prévu ! s’écria-t-il ; elle a prévu que vous fuiriez dans son royaume, et le prévoyant, elle a donné des ordres pour qu’on vous reçût ainsi. Princesse aveugle, trompée