Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/439

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armes étaient brisées se retiraient du premier rang et faisaient place à d’autres, pendant que les rangs de derrière, ne pouvant avoir part autrement à cette lutte sanglante, faisaient feu de leurs pistolets, lançaient contre l’ennemi leurs poignards, les pointes et les tronçons des armes rompues, comme si c’eût été des javelines.

« Dieu et la reine ! » était le cri qui retentissait d’un côté des combattants ; de l’autre, le cri de « Dieu et le roi ! » roulait comme un tonnerre : c’était au nom de leurs souverains que des sujets dévoués versaient par la main les uns des autres les flots les plus purs de leur sang ; c’était au nom de leur créateur qu’ils déchiraient son image avec le fer. Au milieu de cette confusion, souvent on entendait la voix des capitaines donnant leurs ordres, ainsi que celle des chefs supérieurs qui criaient dans le tumulte les mots de ralliement : à tous ces cris se mêlaient les gémissements des blessés et des mourants.

Il y avait environ une heure que le combat durait. Les forces des deux partis paraissaient épuisées ; mais leur acharnement n’était point dompté, leur rage n’était point abattue : lorsque Roland, qui jetait les yeux de tous côtés et qui avait l’oreille au guet autour de lui, vit une colonne d’infanterie, ayant à sa tête quelques cavaliers, tourner le pied de la hauteur qu’il occupait, et, la lance en avant, attaquer par le flanc l’armée de la reine déjà engagée sur son front dans un combat meurtrier. Au premier coup d’œil, Roland s’aperçut que l’auteur et le chef de ce mouvement n’était autre que le chevalier d’Avenel, son ancien maître ; et au second coup d’œil, il vit que cette action déciderait de la victoire. En effet, cette attaque, faite avec des troupes fraîches sur le flanc d’une armée fatiguée depuis long-temps d’une lutte aussi tenace que meurtrière, eut le plus prompt et le plus heureux résultat.

Les troupes de la reine, qui tout à l’heure offraient aux regards une ligne menaçante, épaisse et serrée de casques et de panaches, en un instant furent enfoncées et précipitées pêle-mêle du plateau dont elles s’efforçaient de s’emparer. Vainement la voix des chefs, qui rappelait les fuyards au combat, se faisait-elle entendre ; eux-mêmes, en résistant encore, étaient convaincus que toute résistance était désormais inutile. La plupart se faisaient massacrer ou tombaient couverts de blessures, tandis que le reste était emporté par le flux rapide et confus des fuyards. De quels sentiments le