Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/436

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même temps me glace de terreur. Je voudrais être homme et pouvoir éprouver cette joie sans qu’elle fût mêlée de frayeur !

— Hâtez-vous, hâtez-vous ! lady Catherine Seyton, » cria l’abbé tout en galopant. Cependant la petite troupe était presque sous les murs du château. « Hâtez-vous, venez aider lady Fleming à soutenir la reine ; elle s’affaiblit de plus en plus. »

On fit halte pour enlever Marie de dessus sa selle, et on la portait vers le château, lorsqu’elle dit d’une voix faible : « Non… non… ces murs ne me reverront jamais !

— Soyez reine, madame, dit l’abbé, et oubliez que vous êtes femme.

— Oh ! il faut que j’oublie beaucoup, beaucoup de choses, » répondit l’infortunée Marie d’une voix défaillante, « avant que mes yeux puissent voir d’un regard assuré des lieux si bien et si tristement connus !… Il faut que j’oublie les jours que je passai ici étant déjà l’épouse de cet infortuné… dont le sang…

« C’est le château de Crookstone, dit lady Fleming, où la reine tint sa première cour lorsqu’elle fut mariée à Darnley.

— Ô ciel ! dit l’abbé, ta main s’appesantit sur nous ! Prenez courage, madame, vos ennemis sont les ennemis de la sainte Église, et Dieu décidera aujourd’hui si l’Écosse doit être catholique ou hérétique. »

Une violente décharge de coups de canon et de mousqueterie se fit entendre comme il proférait ces mots, et sembla rappeler les esprits de la reine.

« De cet arbre, » dit-elle, montrant un if qui s’élevait sur une petite butte près du château, « je le connais bien… de là vous pourrez avoir une vue aussi étendue que du pic de Schehallion. »

Et se dégageant des bras de ceux qui l’entouraient, elle marcha d’un pas déterminé, et qui avait quelque chose d’égaré, vers l’if majestueux. L’abbé, Catherine et Roland d’Avenel la suivirent, tandis que lady Fleming restait en arrière avec les personnes inférieures de sa suite. Le chevalier noir suivit aussi la reine, ne la quittant pas plus que son ombre, mais restant toujours à la distance de deux ou trois pas. Il croisait les bras sur sa poitrine, tournait le dos au combat, et ne semblait occupé que de regarder Marie à travers la visière de son casque. La reine ne le regardait pas, mais fixait ses yeux sur l’if aux branches étendues.

«Eh bien ! « dit-elle, comme si à sa vue elle eût oublié ce qui se passait, et surmonté l’horreur que le premier aspect de