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moi, et en vérité mes genoux sont trop vieux et trop raides pour fléchir même devant cette femme charmante. Puisse-t-il plaire à Votre Majesté, si ses serviteurs ont occupé ma maison de manière à ce que je ne la pusse appeler la mienne ; si, dans l’empressement de leur zèle, pendant leurs allées et leurs venues nocturnes, ils ont foulé aux pieds mes fleurs et détruit l’espérance des fruits de l’année, en conduisant leurs chevaux de bataille dans mon jardin ; puisse-t-il plaire, dis-je, à Votre Majesté que je la conjure d’établir sa résidence le plus loin possible de mon habitation. Je suis un vieillard qui se traîne vers le tombeau, et qui veut y descendre en paix et bonne volonté, charmant ses dernières heures par un travail tranquille.

— Je vous jure, bon homme, répondit la reine, que je ne reprendrai pas ce château pour résidence, si je puis m’en dispenser ; mais acceptez cet argent, il vous dédommagera du dégât que nous avons fait dans votre jardin et dans votre verger.

— Je remercie Votre Majesté ; mais cet argent n’offre à mes yeux aucune compensation, dit le vieillard ; tout le travail de la vie d’un homme, qui peut-être n’a qu’une année à vivre, une fois qu’il est détruit, ne peut être remplacé. En outre on dit qu’il faut que j’abandonne ce lieu pour errer le reste de ma vie, moi qui n’ai rien autre chose sur la terre que ces arbres fruitiers, quelques vieux parchemins, et des secrets de famille qui ne méritent pas d’être connus. Quant à l’or, si je l’avais aimé, j’aurais pu rester seigneur abbé de Sainte-Marie, et cependant j’ai eu raison de me démettre de cette charge ; car si l’abbé Boniface n’est que le pauvre paysan Blinkhoolie, son successeur l’abbé Ambroise est encore plus malheureusement transformé en un soldat portant l’épée et le bouclier.

— Est-il possible que ce soit là cet abbé Boniface de qui j’ai entendu parler ? s’écria la reine. C’est moi qui dois fléchir le genou pour recevoir votre bénédiction, bon père.

— Ne fléchissez pas le genou devant moi, madame, la bénédiction d’un vieillard qui n’est plus abbé vous suivra sur la colline et dans le vallon. Mais j’entends le pas des chevaux.

— Adieu, mon père, dit la reine. Lorsque nous rentrerons dans Holy-Rood, nous n’oublierons ni vous ni votre jardin.

— Oubliez-nous tous deux, dit l’ex-abbé Boniface, et que Dieu soit avec vous ! »

Lorsqu’ils sortaient de la maison, les fugitifs entendirent le vieil-