Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de s’en emparer). Elle se tenait le dos tourné vers la fenêtre, et le visage vers la table sur laquelle les clefs étaient placées depuis un instant, tandis qu’elle goûtait les différents plats. Comme elle achevait cet office accoutumé, et au moment même où elle allait reprendre ses clefs, le page qui se tenait près d’elle, et qui lui avait présenté tour à tour chaque plat, regarda de côté vers le cimetière, et s’écria qu’il y voyait briller une torche funèbre. Lady Lochleven ne laissait pas d’avoir sa part des superstitions de son siècle ; le sort de ses fils lui avait fait ajouter foi aux présages : or un flambeau vu dans le lieu où était le tombeau d’une famille passait pour le présage du trépas de quelqu’un de ses membres. Elle tourna la tête vers la fenêtre, vit une clarté éloignée, oublia sa surveillance pendant un seul moment, et perdit dans l’espace d’une seconde tous les fruits de sa longue vigilance. Le page tenait sous son manteau les clefs qu’il avait forgées, et avec une grande dextérité il les substitua aux véritables. Son adresse extraordinaire ne put point empêcher un bruit léger que fit le paquet de clefs lorsqu’il s’en saisit. « Qui touche à ces chefs ? » s’écria la dame ; et tandis que le page répondait que la manche de son habit les avait effleurées, elle regarda autour d’elle, s’empara du trousseau qui remplaçait le sien, et se retourna encore pour regarder la prétendue torche funèbre.

« Je vous assure, » dit-elle, après un moment de réflexion, « que cette clarté ne vient pas du cimetière, mais de la chaumière du vieux jardinier Blinkhoolie. Je ne sais ce que fait ce coquin, mais, très avant dans la nuit, il a de la lumière dans sa maison. Je pensais qu’il était tranquille et bon travailleur ; mais, s’il vient à recevoir habituellement des paresseux et des vagabonds, il faudra qu’il déguerpisse.

— Il travaille peut-être à faire ses paniers, » dit le page, qui cherchait à dérouter ses soupçons.

« Ou à ses filets, n’est-ce pas ?

— Sans doute ; car il pêche des saumons et des truites.

— Ou bien des fous et des vauriens. Mais nous verrons cela demain : je souhaite une bonne nuit à Votre Majesté et à sa compagnie. Randal, suivez-moi. » Et Randal, qui attendait dans l’antichambre, après avoir remis son paquet de clefs, servit d’escorte à sa maîtresse ainsi qu’à l’ordinaire, tandis que, laissant la reine dans son appartement, elle se retirait vers le sien.

« À demain ! » dit le page en se frottant les mains avec joie, et