Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/326

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seils pour de sublimes esprits comme les vôtres ? Que m’avez-vous demandé sans l’obtenir aussitôt, quoique mon cœur en saignât ?

— Je voudrais que vous fussiez vous-même, mon frère, dit l’abbé ; que vous vous rappelassiez ce que vous étiez et à quoi vos premiers vœux vous ont lié.

— Je vous dis, père Ambroise, reprit le jardinier, que la patience du meilleur saint qui ait jamais récité Pater noster s’épuiserait dans les épreuves auxquelles vous avez soumis la mienne. Quant à ce que j’ai été, il n’est pas nécessaire de le dire à présent ; personne ne sait mieux que vous, père, ce à quoi j’ai renoncé, dans l’espoir de trouver l’aisance et le repos pour le reste de mes jours ; personne ne sait mieux comment on a envahi ma retraite, brisé mes arbres fruitiers, foulé aux pieds mes plate-bandes, exilé la tranquillité de ces lieux, et chassé le sommeil de mon lit ; et tout cela depuis que cette pauvre reine, que Dieu la bénisse ! a été envoyée à Lochleven. Je ne la blâme pas : étant prisonnière, il est naturel qu’elle cherche à sortir de ce vilain trou, dans lequel on trouve à peine assez de place pour faire un jardin passable, et où, m’a-t-on dit, les brouillards du lac détruisent toutes les fleurs précoces… Je dis que je ne puis la blâmer de chercher à se mettre en liberté : mais pourquoi m’entraîner dans le complot ? pourquoi mes innocents berceaux, que j’ai plantés moi-même, deviendraient-ils des rendez-vous de conspirateurs ? pourquoi mon petit quai que j’ai moi-même bâti, pour ma propre barque de pêcheur, deviendrait-il un refuge d’embarcations secrètes ? enfin pourquoi m’impliquer dans des affaires dont le résultat peut fort bien être la décapitation ou la corde ?… lequel ce sera des deux, je vous assure, mon révérend père, que je n’en sais rien du tout.

— Mon frère, reprit l’abbé, vous êtes un sage, et vous devriez savoir…

— Je ne le suis pas, je ne le suis pas. Je ne suis pas un sage, » reprit l’horticulteur avec humeur et en bouchant ses oreilles avec ses doigts, « on ne m’a jamais appelé sage, si ce n’est quand on voulait m’entraîner dans un acte de folie notoire.

— Mais, mon bon frère… dit l’abbé.

— Je ne suis pas bon non plus, dit le jardinier ; je ne suis ni sage ni bon. Si j’eusse été sage, je ne vous aurais pas admis ici ; et si j’étais bon, je vous enverrais ailleurs tramer vos complots qui tendent à détruire la tranquillité du pays. Que signifie de disputer pour un roi ou une reine, quand les hommes peuvent être en paix