Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/307

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du sujet. Après avoir fait toutes les grimaces et les bouffonneries qui convenaient à la circonstance, on présenta successivement la puissante relique à chacune des actrices, dont pas une ne résista à l’épreuve ; mais, au grand plaisir de l’auditoire, elles éternuèrent plus long-temps et plus fort qu’elles n’y comptaient peut-être elles-mêmes. Enfin, la plaisanterie paraissait épuisée, et le moine allait passer à quelque nouvelle folie, quand le bouffon du drame, s’emparant secrètement de la fiole qui contenait la merveilleuse liqueur, l’appliqua tout à coup sous le nez d’une jeune femme, dont le visage était caché par un voile de soie noire, et qui était assise au premier rang des spectateurs, paraissant regarder attentivement sur la scène. Le contenu de la fiole était bien fait pour soutenir la réputation de la légende du charlatan. La demoiselle se mit à éternuer violemment, preuve de sa fragilité, qui fut reçue avec des cris de joie de la part des spectateurs. Ces démonstrations joyeuses furent bientôt répétées aux dépens du bouffon ; car, avant que la crise fut bien passée, la jeune fille insultée, retirant une main des plis de son manteau, lui appliqua un soufflet qui l’envoya tomber à quelque distance du moine.

Personne ne plaint un bouffon battu, et il reçut peu de marques de condoléance, quand, en se levant de terre et faisant ses lamentations, il invoqua l’assistance et la pitié de l’auditoire. Mais le chambellan, qui sentait qu’on avait insulté à sa dignité, ordonna à deux hallebardiers de lui amener la coupable. Quand les officiers approchèrent de la virago, elle prit tout à coup une attitude de ferme défense, comme si elle était déterminée à résister à leur autorité ; et, d’après l’échantillon de force et de courage qu’elle venait de déployer, ils ne se montrèrent pas empressés d’exécuter leur commission. Mais, après avoir réfléchi une demi-minute, la demoiselle changea tout à coup de manière et d’attitude : elle enveloppa ses bras sous son manteau d’un air modeste et virginal, et se rendit de plein gré devant le grand homme, suivie et gardée par les deux braves satellites. Dans sa démarche en traversant l’espace vide qui la séparait de lui, et surtout dans son maintien, lorsqu’elle se tint devant le tribunal du docteur, elle montra cette légèreté et cette grâce naturelle que les connaisseurs considèrent comme inséparable de la beauté. D’ailleurs son justaucorps brun, et son jupon court de même couleur, laissaient voir une belle taille et une jolie jambe ; ses traits étaient cachés par son voile ; mais le docteur, chez lequel la gravité n’excluait