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gardes parvinrent, à force de les frapper et de les tirer, à séparer les malheureux animaux dont la furie faisait leur amusement depuis une heure. Le ménestrel ambulant se vit abandonné par les auditeurs qu’il avait attirés, au milieu du passage le plus intéressant de sa romance, et à l’instant où son garçon partait, le bonnet à la main, pour recueillir les offrandes. Il s’arrêta, tout indigné, au milieu de Rosewal et Lilian ; et, remettant son violon à trois cordes ou rebec dans son étui de cuir, il suivit malgré lui la foule, pour assister à un spectacle qui avait causé l’interruption du sien. Le jongleur cessa de vomir des flammes et de la fumée, et préféra respirer comme les autres mortels, plutôt que de jouer gratis le rôle d’un dragon enflammé. Enfin, tous les autres jeux cessèrent, tant était grand l’empressement à se rendre au lieu de la représentation !

On se tromperait grandement si l’on voulait se faire une idée de cette exposition dramatique d’après nos scènes modernes ; car les farces grossières de Thespis différaient moins des tragédies d’Euripide, représentées sur le théâtre d’Athènes avec toute la magnificence des décors et toute la pompe des costumes. Il n’y avait pas ici de scène, de théâtre, de changement de décorations, de parterre, de loges, de galeries, de pourtour ; et ce qui pouvait consoler la pauvre Écosse de ces privations, c’est qu’on n’exigeait à la porte aucune rétribution. Ainsi que dans les proverbes du magnanime Bottom[1], les acteurs avaient pour théâtre un tapis de verdure, et un buisson d’aubépine servait à former une salle de repos et de répétition ; les spectateurs étaient assis sur les gradins qu’on avait élevés autour de trois côtés du terrain choisi ; le quatrième était libre pour l’entrée et la sortie des acteurs. Le chambellan, comme le personnage le plus important de l’endroit, se trouvait placé au milieu de ce public bienveillant. Tous respiraient la joie et l’admiration, et par conséquent tous étaient sourds à la critique.

Les personnages qui paraissaient et disparaissaient successivement devant ces auditeurs charmés étaient les mêmes qu’on offre sur la scène dans le premier âge de toutes les nations : des vieillards trompés par leurs femmes et par leurs filles, pillés par leurs fils, et dupés par leurs domestiques ; un capitaine fanfaron, un vendeur de pardons, servile et curieux, un grossier campagnard,

  1. Songe d’une nuit d’été, Shakspeare.