Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/231

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crée notre imagination quand nous lisons son histoire pour la première fois : ces traits expressifs répétés par les gravures et les tableaux que nous voyons partout, ont empreint en nous leur souvenir ineffaçable. En effet, nous ne pouvons regarder le plus mauvais de ces dessins, quelque défectueuse que soit son exécution, sans dire qu’on a voulu représenter la reine Marie. Ce n’est pas une faible preuve du pouvoir de la beauté, que ses charmes, après un laps de temps si considérable, soient l’objet non seulement de l’admiration, mais encore d’un vif intérêt chevaleresque. On sait que ceux mêmes qui, dans les derniers temps de sa vie, avaient adopté les opinions les plus défavorables au caractère de Marie, nourrissaient des sentiments analogues à ceux de l’exécuteur qui demanda, avant que sa tâche pénible fût terminée, la faveur de baiser la belle main de celle sur laquelle il allait accomplir un si horrible devoir.

Vêtue alors d’une robe de deuil, et avec cette figure, cette taille, ces manières, enfin embellie de tous les charmes avec lesquels la tradition fidèle a familiarisé les lecteurs, Marie Stuart s’avançait à la rencontre de lady Lochleven. Cette dame, de son côté, s’efforçait de cacher sa haine et ses craintes sous l’air d’une indifférence respectueuse. Au fait, elle avait plusieurs fois ressenti la supériorité de la reine dans cette espèce de sarcasme déguisé, mais d’autant plus mordant, à l’aide duquel les femmes peuvent venger avec succès des injures moins cachées. Il est permis de se demander si ce talent ne fut pas aussi fatal à celle qui le possédait, que tant d’autres qualités dont cette malheureuse reine était douée. En effet, tandis qu’il lui procurait souvent un triomphe momentané sur ceux qui étaient chargés de la garder, il ne manquait pas d’augmenter leur ressentiment ; et la satire et le sarcasme auxquels elle était livrée étaient souvent rendus par les tracasseries fréquentes et amères qui étaient en leur pouvoir. On sait positivement que sa mort fut hâtée par une lettre qu’elle écrivit à la reine Élisabeth, lettre dans laquelle elle accablait sa jalouse rivale et la comtesse de Shrewsbury, sous les traits du ridicule le plus incisif et de la plus sanglante ironie.

Lorsque les deux dames se rencontrèrent, la reine dit en inclinant la tête pour répondre au salut de lady Lochleven : « Nous sommes heureuses aujourd’hui, nous jouissons de la société de notre aimable hôtesse à une heure peu ordinaire, et dans des moments qu’on nous a permis jusqu’ici de consacrer à notre pro-