Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/160

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rivière et vers le nord appelèrent le garde du pont et demandèrent le passage gratuit.

« Je n’abaisserai pas le pont, » répondit Pierre, d’une voix que la vieillesse et la mauvaise humeur rendaient tremblante : « que vous soyez papistes ou protestants, vous êtes tous les mêmes. Le papiste nous menace du purgatoire, et nous ruine en pardons ; le protestant nous menace de son épée, et nous parle de liberté de conscience ; mais pas un ne dit : Pierre, voilà votre péage. Je suis fatigué de tout cela, et mon pont ne se baissera plus que pour ceux qui me paieront argent comptant. Sachez que je me soucie aussi peu de Genève que de Rome, aussi peu d’homélies que de pardons, et les sous d’argent, voilà le seul passeport que je connaisse. »

« Le vieux rustre ! » dit Woodcock à son compagnon ; puis élevant la voix, il s’écria : « Écoute, chien de garde-pont, maroufle, crois-tu que nous ayons refusé le denier de saint Pierre à Rome pour te payer le tien au pont de Kennaquhair ? Que ton pont s’abaisse à l’instant pour les serviteurs de la maison d’Avenel ; ou par la main de mon père, et c’était un vigoureux compère de York, par la main de mon père, dis-je, notre chevalier te fera sauter de ton nid d’oie dans le milieu de la rivière, à l’aide du fauconneau que nous allons prendre à Édimbourg pour le conduire demain vers le Sud. »

Le garde-pont entendit, et murmura : « Peste soit des fauconneaux, des canons et des fusils, et de tous les mâtins que l’on fait aboyer de nos jours contre des murs de pierre et de chaux ! C’était un joyeux temps que celui où il n’y avait rien autre que des coups de main, et où même une volée de flèches ne pouvait pas plus nuire à de bons murs que la pluie ou la grêle ; mais il faut céder au plus fort ! » Et s’étant consolé par ce proverbe plein de sens, il abaissa le pont-levis. À la vue de ses cheveux blancs, qui laissaient voir un visage attristé par les années et le malheur, Roland se sentait porté à lui donner une aumône ; mais Adam Woodcock le retint : « Qu’il porte la peine de sa grossièreté et de son avarice ; dit-il ; le loup qui a perdu ses dents ne doit pas être mieux traité qu’un chien hargneux. »

Laissant Pierre Bridge-Ward regretter le changement des temps, qui lui envoyait des soldats insolents et des serviteurs féodaux, au lieu de paisibles pèlerins, et le réduisait à perdre son péage, au lieu de rançonner les passants, nos voyageurs se dirigèrent vers le nord : Woodcock, qui connaissait parfaitement cette