Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/150

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Édouard, je ne puis m’empêcher de croire qu’il y a encore un abbé de la Déraison dans l’enceinte du monastère.

— Et pourquoi, frère Halbert, vous moquer de mon habit ? répliqua l’abbé ; c’est l’armure spirituelle de ma profession, et comme telle, elle me va aussi bien que vous vont cette cuirasse et ce baudrier.

— Oui ; mais il n’est pas fort sage, ce me semble, de porter une armure, quand on ne peut se battre ; il n’y a qu’une dangereuse témérité à défier l’ennemi auquel on ne peut résister.

— C’est ce que personne ne peut dire, mon frère, avant que la bataille soit livrée ; au reste, il me semble qu’un brave guerrier, même sans espoir de vaincre, aimerait mieux combattre et mourir qu’abandonner glaive et bouclier pour se soumettre aux conditions déshonorantes d’un ennemi insultant. Mais ne nous querellons pas sur un sujet où nous ne serons jamais d’accord, et venez plutôt assister au repas de mon installation. Vous n’avez pas à craindre, mon frère, que votre zèle à rétablir la discipline primitive de l’Église soit offensé en cette occasion de la riche profusion d’un festin monacal. Les jours de notre vieil ami l’abbé Boniface sont passés ; et le supérieur de Sainte-Marie n’a plus ni forêts, ni étangs, ni pâturages, ni moissons, ni troupeaux, ni gibier ; il n’a plus ni greniers remplis de blé, ni magasins d’huile et de vin, d’ale et d’hydromel. La place de cellerier n’existe plus, et un repas comme celui qu’un ermite de roman peut offrir à un chevalier errant, voilà tout ce que nous pourrons vous donner. Mais si vous le partagez avec nous, nous le trouverons excellent, et nous vous remercierons, mon frère, de votre utile protection contre ces impudents perturbateurs.

— Mon très-cher frère, répondit le chevalier, je suis fâché vraiment de ne pouvoir accepter ; mais il serait dangereux pour vous et pour moi qu’un réformé assistât à votre banquet d’installation. Si je puis jamais avoir le bonheur de vous secourir efficacement, je le devrai surtout aux efforts que je fais pour qu’on ne me soupçonne point de soutenir et de favoriser vos rites et vos cérémonies religieuses. Il ne faudra rien moins que toute l’autorité que je puis prendre sur mes propres amis, pour défendre l’homme hardi, qui, malgré les lois et les édits du parlement, a osé remplir les fonctions d’abbé de Sainte-Marie.

— Ne prenez point cette peine, mon frère, répliqua le père Ambroise. Je verserais le meilleur de mon sang pour savoir que