Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/140

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Mais la fureur de la multitude, la douleur de l’abbé, et l’allégresse de l’enthousiaste Madeleine, n’avaient ni fondement ni motif réel. Blessé à mort, comme on le supposait, Howleglas se remit promptement sur ses pieds en criant : « Un miracle, un miracle, camarades ! un aussi beau miracle que tous ceux qui furent jamais faits dans l’église de Kennaquhair. Et je vous défends, camarades, moi qui suis votre abbé légitimement élu, de toucher à personne, sans mon ordre… Vous, loup et ours, veillez sur ce téméraire jeune homme, mais sans lui faire le moindre mal… Et vous, révérend frère, retirez-vous avec vos moines dans vos cellules ; car notre conférence s’est terminée comme toutes les conférences, en laissant chacun persuadé, comme devant, qu’il a raison ; et si nous nous battions, vous, vos frères et votre Église ne seriez pas les plus forts… Emportez donc votre bagage, et décampez. »

Le vacarme recommençait déjà ; mais le père Ambroise restait encore indécis, ne sachant si son devoir lui ordonnait de résister à la tempête du moment, ou de se réserver pour une meilleure occasion. Son frère de la Déraison vit son embarras, et lui dit d’un ton plus naturel que celui avec lequel il avait jusqu’alors joué son rôle : « Nous sommes venus ici, mon bon père, plus pour nous amuser que pour y faire du mal… Nos aboiements sont plus terribles que nos morsures… Et surtout nous n’avions pas contre vous personnellement de mauvaises intentions… Retirez-vous donc, avant que les affaires se gâtent ; car il est difficile de rappeler un faucon quand il vient de prendre son vol, et plus difficile encore d’arracher à un mâtin sa proie… Si ces braves enfants recommencent leur tapage, il sera trop violent même pour des fous : laissez au seul abbé de la Déraison le soin de les rappeler à l’ordre. »

Les frères entourèrent alors le père Ambroise, et se mirent tous à le supplier de céder au torrent. Un tel divertissement était, disaient-ils, une ancienne coutume autorisée par ses prédécesseurs, et le vieux père Nicolas lui-même avait rempli le rôle de dragon, du temps de l’abbé Ingelram.

« Et nous recueillons maintenant le fruit de la semence qu’ils ont si maladroitement répandue, répondit Ambroise ; ils ont appris à leurs ouailles à se moquer de ce qui est sacré ; comment s’étonner alors que les fils d’hommes sacrilèges deviennent voleurs et brigands ? Mais qu’il soit fait comme il vous plaira, mes