Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/401

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probablement fondée sur le fait véritable que Rébecca avait donné des soins à Ivanhoe dans le château de Torquilstone ; mais il était d’autant plus difficile de révoquer en doute la véracité du témoin, que, pour donner une preuve matérielle à l’appui de son témoignage, il tira de sa poche le fer qui, affirmait-il encore, avait été miraculeusement extrait de la blessure. Et comme ce fer pesait exactement une once, cette circonstance confirmait pleinement sa déposition, quelque merveilleuse qu’elle dût paraître.

Son camarade avait vu, du haut d’une tour voisine, la scène qui s’était passée entre Rébecca et Bois-Guilbert, lorsque la juive était sur le point de se précipiter du haut de la plate-forme sur laquelle elle s’était réfugiée : ne voulant pas rester en arrière de son compagnon, il déclara avoir vu Rébecca s’avancer sur cette plate-forme ; là, se changer en cygne d’une merveilleuse blancheur, voler trois fois autour du château de Torquilstone, puis revenir se percher sur la fenêtre, et y reprendre sa première forme.

Il n’eût pas fallu un grand nombre de preuves aussi imposantes pour convaincre de sorcellerie toute femme vieille, pauvre et laide, quand même elle n’aurait pas été juive ; mais, réunies à cette dernière et fatale circonstance, elles devenaient trop évidentes pour que la jeunesse, la beauté, en un mot toutes les vertus de Rébecca, pussent les contre-balancer.

Le grand-maître, après avoir recueilli les suffrages, demanda d’un ton grave à Rébecca si elle avait quelque chose à alléguer contre la sentence de condamnation qu’il allait prononcer. « Invoquer votre pitié, » répondit l’infortunée juive d’une voix tremblante, « serait, j’ai tout lieu de le craindre, tout-à-fait superflu, d’ailleurs ce serait une bassesse à mes yeux ; vous dire que soulager les malades et les blessés d’une autre religion que la mienne ne peut déplaire au fondateur reconnu de nos deux religions, ne me servirait également de rien ; vous assurer que la plupart des choses dont ces hommes (Dieu veuille leur pardonner !) m’ont accusée, sont impossibles, ne serait pas améliorer ma cause, puisque vous croyez à leur Possibilité ; et à quoi me servirait de vous dire que mes vêtements, mon langage, mes mœurs sont ceux de mon peuple ?… j’allais dire de ma patrie ; mais, hélas ! nous n’en avons plus. Je ne chercherai même pas à me justifier aux dépens de mon oppresseur, qui est là et qui écoute les fictions et les présomptions qui semblent faire du tyran une victime. Que Dieu soit juge entre lui et moi ! Mais plutôt souffrir dix fois la mort à laquelle vous allez me faire conduire, que