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compagnie, et alors que devient sa profession ? Mais écoutez, mon oncle, si vous avez réellement le dessein de me faire plaisir, ayez la bonté de pardonner à mon camarade Gurth d’avoir dérobé une semaine à votre service pour la consacrer à celui de votre fils.

— Lui pardonner ! s’écria Cedric ; je veux non seulement lui pardonner, mais même le récompenser. Approche, Gurth, et mets-toi à genoux. » Le porcher obéit à l’instant. « Tu n’es plus Theow ni Esne, » dit-il en le touchant avec une baguette, « mais Folk-free et Sacless[1], homme libre en ville et hors ville, dans les bois comme dans les champs. Je te donne un arpent de terre dans mon domaine de Walbrugham, transporté de moi et des miens à toi et aux tiens, dès à présent et à toujours : et que la malédiction de Dieu tombe sur la tête de celui qui oserait me contredire ! »

Ravi de n’être plus esclave, mais libre et propriétaire, Gurth se releva promptement et bondit deux fois presque à la hauteur de sa tête. « Un serrurier et une lime ! s’écria-t-il, pour faire tomber ce collier du cou d’un homme libre. Mon noble maître, vous avez doublé mes forces par cet acte de générosité : aussi combattrai-je pour vous avec double courage. Je sens un cœur libre battre dans ma poitrine. Je me sens tout changé, et tout ce qui m’entoure change aussi à mes yeux. Ah ! Fangs ! continua-t-il (car le fidèle animal, en voyant les transports de joie de son maître, accourut à lui comme s’il les partageait), reconnais-tu encore ton maître ?

— Oui, dit Wamba, Fangs et moi, nous te reconnaissons encore, quoique nous devions encore nous soumettre à garder le collier ; mais c’est toi qui probablement nous oublieras et qui t’oublieras toi-même.

— Non ! non ! je m’oublierai moi-même avant de t’oublier, mon fidèle camarade, dit Gurth ; et si la liberté pouvait te convenir, ton maître ne te laisserait pas long-temps soupirer après elle.

— Mon ami Gurth, dit Wamba, ne crois pas que je te porte envie : le serf est assis au coin du feu pendant que l’homme libre est obligé de prendre les armes ; et, comme le dit fort bien Oldhelm de Malmsbury : Mieux vaut fou au banquet que sage à la bataille. »

On entendit alors un bruit de chevaux, et l’on vit paraître lady Rowena richement vêtue, et montée sur un palefroi bai foncé, au milieu d’une nombreuse cavalcade ; elle était suivie d’un plus grand nombre de vassaux à pied, qui exprimaient par le cliquetis de leurs

  1. Nous conservons ces mois saxons, qui signifient : theow ni esne, esclave ; et folk-free, libre ou affranchi. a. m.