Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/248

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— Allons donc ! le chef d’une compagnie franche faire attention aux pleurs d’une femme ! Quelques gouttes d’eau jetées sur le flambeau de l’amour ne font que rendre son éclat plus vif.

— Grand merci de ces quelques gouttes ! Sais-tu que cette jeune fille a versé autant de larmes qu’il en faudrait pour éteindre un fanal ? Non, jamais, depuis le temps de sainte Niobé[1] dont le prieur nous parlait dernièrement, on n’a vu des mains se tordre de telle sorte, des yeux verser de tels torrents. La belle Saxonne était possédée d’une fée ondine.

— Et une légion de démons possédait sans doute la juive, car jamais un seul d’entre eux, je pense, fût-ce Apollyon lui-même, n’eût pu lui souffler un si indomptable orgueil, une si ferme résolution. Mais où est Front-de-Bœuf ? Pourquoi le cor se fait-il entendre ? Pourquoi ces sons de plus en plus perçants ?

— Sans doute il est à négocier avec le Juif ; du moins je le suppose, » répondit froidement de Bracy : « il est probable que les hurlements d’Isaac auront étouffé les sons du cor. Tu dois savoir par expérience, sire Brian, qu’un juif contraint de payer une rançon, surtout aux conditions que lui prescrira notre ami Front-de-Bœuf, doit jeter des cris à couvrir le tintamarre de vingt cors et de vingt trompettes. Mais nous allons le faire appeler par nos vassaux. »

Ils furent bientôt rejoints par Front-de-Bœuf, qui avait été interrompu dans l’exercice de sa despotique cruauté de la manière que le lecteur a vu, et qui ne s’était arrêté que pour donner quelques ordres indispensables.

« Voyons quelle est la cause de cette maudite rumeur, dit Front-de-Bœuf. C’est une lettre ; et, si je ne me trompe, elle est écrite en saxon. » Il la regardait en la tournant et retournant en tous sens, comme s’il eût espéré d’en connaître le contenu en changeant la position du papier. Enfin il la remit à de Bracy.

« Ce sont pour moi des caractères magiques, » dit de Bracy qui avait sa bonne part de l’ignorance qui faisait l’apanage des chevaliers de cette époque. « Notre chapelain a fait tout au monde pour m’enseigner à écrire ; mais toutes mes lettres ressemblaient par la forme à des fers de lance et à des lames d’épée, ce qui fit que le vieux tondu renonça à son entreprise.

— Donnez-moi cette lettre, dit le templier, dans notre ordre, quelque instruction rehausse notre valeur.

  1. Dans quel temps Niobé fut-elle canonisée ? Le prieur aurait dû le leur dire. Ce fut sans doute à cette époque brillante où le dieu Pan légua ses cornes à Moïse. a. m.