Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/220

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L’horreur d’un pareil spectacle aurait pu intimider une âme plus forte que celle d’Isaac ; et cependant il conservait plus de calme dans un danger présent qu’au milieu des craintes inspirées par un péril éloigné et incertain. Les chasseurs prétendent que le lièvre éprouve une agonie plus terrible quand il est poursuivi par les lévriers que lorsqu’il se débat sous leurs dents[1]. D’ailleurs, il est probable que les juifs, que leur position tenait dans des craintes continuelles, étaient en quelque sorte préparés à toutes les vexations que la tyrannie pouvait exercer contre eux ; de sorte que toute violence dont ils devenaient l’objet ne leur causait point cette surprise et cette terreur qui énervent les forces de l’âme. D’un autre côté, ce n’était pas la première fois qu’Isaac se trouvait placé dans des circonstances si dangereuses ; il avait donc pour guide l’expérience, et de plus l’espoir d’échapper à ses persécuteurs, comme cela lui était déjà arrivé. Il possédait à un haut degré l’inflexible opiniâtreté qui caractérise sa nation, cette ferme résolution que rien ne saurait abattre, et qui si souvent avait fait endurer aux juifs ce surcroît de maux et de tourments que leurs oppresseurs pouvaient leur infliger, plutôt que de les satisfaire en cédant à leurs demandes.

Après s’être décidé à une résistance muette ou passive, et avoir relevé ses vêtements autour de lui pour les préserver de l’humidité du sol, Isaac s’assit dans un coin du cachot ; et là, ses mains croisées sur sa poitrine, ses cheveux en désordre, sa longue barbe, son manteau bordé de fourrures et son grand bonnet, vus à la lueur incertaine d’un rayon du jour passant avec peine par le soupirail, auraient fourni à Rembrandt un sujet d’étude digne de ses pinceaux, s’il eût existé à cette époque. Le Juif se tenait depuis près de trois heures dans cette attitude, lorsque le bruit de quelques pas se fit entendre sur l’escalier ; les verrous furent tirés avec un long fracas, la porte cria et tourna sur ses gonds, et Reginald Front-de-Bœuf, suivi des deux esclaves sarrasins du templier, entra dans le cachot.

Front-de-Bœuf joignait à une taille athlétique une vigueur à toute épreuve ; il avait passé toute sa vie à faire la guerre, ou à entreprendre, dans des démêlés et des querelles particulières, des agressions contre la plupart de ses voisins ; enfin, il n’avait jamais hésité sur le choix des moyens à employer pour augmenter sa

  1. Nous ne garantissons pas ce fait d’histoire naturelle ; nous le donnons sur l’autorité du manuscrit de Wardour.