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qu’au point du jour, et l’on ne prit congé de l’abbé qu’après avoir partagé avec lui un somptueux déjeuner.

Au moment où la cavalcade sortait de la cour du monastère, il arriva un incident un peu alarmant pour les Saxons, qui, de tous les peuples de l’Europe, avaient dans les présages la foi la plus superstitieuse, et aux opinions desquels il faut attacher plusieurs usages singuliers dont parlent nos chroniques nationales. Les Normands, étant une race mêlée et plus avancée alors en civilisation, avaient perdu la plupart des préjugés importés de la Scandinavie par leurs ancêtres, et se piquaient de penser plus sainement sur de pareils sujets. Dans le cas dont nous parlons, l’appréhension de quelque malheur prochain fut inspirée par un prophète bien respectable sans doute : un gros chien noir et maigre, assis sur ses pattes de derrière, se mit à hurler d’une façon lamentable quand les premiers cavaliers franchirent la porte du couvent, et par ses aboiements répétés, pendant qu’il courait tantôt en avant tantôt en arrière de la cavalcade, parut témoigner un désir extrême de se joindre à la compagnie.

« Je n’aime pas cette musique, mon père, » dit à Cedric le noble Athelstane ; car il le nommait souvent ainsi, par respect pour son âge.

— Je ne l’aime pas non plus, notre oncle, lui dit Wamba ; je crains fort que nous n’ayons les musiciens à payer.

— À mon avis, » répliqua Athelstane, sur le cerveau duquel la bonne bière de l’abbé (car la bière de Burton était déjà en grande renommée) avait produit une impression favorable ; « à mon avis, nous ferions mieux de retourner sur nos pas, et de ne partir qu’après le dîner. C’est signe de malheur que de trouver sur son chemin, lorsque l’on est encore pour ainsi dire à jeun, un moine, un lièvre, ou un chien qui aboie.

— Allons ! » s’écria Cedric d’un ton d’impatience ; « à peine la journée nous suffira-t-elle pour arriver au terme de notre voyage ! Quant à ce chien, je le connais ; c’est celui de ce fripon de Gurth, et, comme son maître, un déserteur inutile. »

En parlant ainsi Cedric, irrité de ce retard, se dressa sur ses étriers et lança une javeline contre le pauvre Fangs ; car c’était Fangs qui, ayant suivi les traces de son maître, s’était égaré en le cherchant, et lui témoignait de cette manière sa joie de l’avoir retrouvé. La javeline blessa à l’épaule le fidèle animal et faillit le clouer en terre ; poussant des cris de douleur, il s’enfuit loin de la