Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/169

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aussi le motif pour lequel nous l’aidons, toi de ta politique, moi des lances de ma compagnie franche.

— Voilà un auxiliaire qui donne de belles espérances ! » dit Fitzurse avec impatience ; « un homme qui s’occupe de folies dans le moment le plus critique ! Mais quel est donc ton dessein en prenant un tel déguisement dans une crise aussi sérieuse ?

— De prendre une femme à la manière de la tribu de Benjamin, répondit froidement de Bracy.

— De la tribu de Benjamin ! Je ne te comprends pas.

— N’étais-tu pas présent hier soir, lorsque le prieur Aymer, à propos de la romance qu’avait chantée le ménestrel, nous raconta comment, jadis en Palestine, une affreuse querelle s’éleva entre le clan de Benjamin et le reste de la nation d’Israël ; comment celle-ci tailla en pièces toute la chevalerie de ce clan, et jura par la sainte Vierge de ne permettre à aucun de ceux qui avaient échappé au carnage de prendre une épouse de leur lignage ; comment la même nation, ayant regret de son vœu, envoya consulter le pape sur le moyen d’absoudre les femmes qui le transgresseraient ; et comment, d’après l’avis du saint père, les jeunes chevaliers de la tribu de Benjamin donnèrent un superbe tournoi pendant lequel ils enlevèrent toutes les femmes qui s’y trouvaient, et les obtinrent de la sorte pour épouses sans avoir besoin du consentement ni d’elles ni de leurs familles[1] ?

— J’ai déjà entendu cette histoire, quoique le prieur ou toi vous ayez fait de singulières altérations dans la date et dans les détails.

— Je le dis que je veux me procurer une femme à la manière de la tribu de Benjamin ; c’est-à-dire que, sous ce déguisement, je tombe cette nuit même sur ce troupeau de lourds Saxons qui viennent de quitter le château, et j’enlève la belle Rowena.

— Es-tu fou, de Bracy ? Songe donc que, bien que ce soient des Saxons, ils sont riches, puissants, et d’autant plus respectes par leurs concitoyens que la richesse et la puissance ne sont maintenant le partage que d’un petit nombre d’individus de cette nation.

— Et ce ne devrait être celui d’aucun d’eux, pour que l’œuvre de la conquête fût réellement consommée.

  1. Cette manière de travestir la Bible prouve chez de Bracy une grande ignorance, ou bien elle n’est qu’une plaisanterie. À cette époque, les ménestrels et les chroniqueurs, même ceux qui vivaient dans le cloître, faisaient dans leurs récits des anachronismes plus ridicules encore. a. m.