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ronnie d’Ivanhoe, de manière que Wilfrid n’encoure pas le mécontentement de son père en y rentrant jamais.

— Par saint Antoine ! » répondit le géant dont le noir sourcil se fronça tout à-coup, « je consens à ce que Votre Altesse me regarde comme un Saxon, si jamais Cedric, ou Wilfrid, ou quelque autre de ces indigènes, m’arrache le don qu’elle daigne me faire.

— Quiconque t’appellera Saxon, sire baron, » reprit Cedric blessé d’une expression dont les Normands se servaient fréquemment pour témoigner leur mépris pour les Anglais, « te fera un honneur aussi grand qu’il est peu mérité. »

Front-de-Bœuf allait répondre, mais la pétulance et la légèreté du prince ne lui en donnèrent pas le temps. « Assurément, milord, lui dit-il, le noble Cedric parle vrai : lui et sa race peuvent l’emporter sur nous par la longueur de leur généalogie aussi bien que par celle de leurs manteaux.

— Oui, dit Malvoisin, ils nous précèdent dans les combats, comme le daim précède les chiens.

— Et ils ont un bon motif pour l’emporter sur nous, ajouta le prieur Aymer, c’est la supériorité de leur prestance et la grâce de leurs manières.

— Leur singulière modération, leur exemplaire tempérance, doivent-elles être oubliées ? » dit de Bracy, qui oubliait alors le projet du prince de lui faire épouser une Saxonne.

« Sans parler du courage qu’ils montrèrent à la bataille d’Hastings et ailleurs, » ajouta Brian de Bois-Guilbert.

Tandis que les courtisans, avec un sourire moqueur, suivaient ainsi l’exemple de leur prince, et qu’à l’envi l’un de l’autre ils faisaient pleuvoir le ridicule sur Cedric, la figure du Saxon s’enflammait de colère. Promenant sur eux des regards terribles, comme si la rapide succession de tant d’injures l’eût empêché de répondre, il ressemblait à un taureau fougueux, qui, entouré de chiens, est embarrassé de choisir entre eux celui qu’il immolera le premier à sa vengeance. Enfin, d’une voix entrecoupée par la rage, et s’adressant au prince Jean comme au principal auteur de l’insulte qu’il avait reçue :

« Quels qu’aient été les défauts et les vices de notre race, dit-il, un Saxon eût été regardé comme nidering[1] si dans son propre

  1. Il n’y avait rien de plus ignominieux parmi les Saxons que de s’attirer la terrible épithète de nidering. Guillaume-le-Conquérant lui-même, tout exécré qu’il était par eux, continua d’attirer sous ses étendards un nombre considérable d’Anglo-Saxons, en menaçant de signaler comme niedering ceux qui ne marcheraient pas. Bartholinus cite une pareille expression qui avait la même influence sur les Danois.