Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/154

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Le premier bouclier fut enlevé, et remplacé par un autre de même grandeur ; et Hubert, qui, comme vainqueur de la première épreuve, avait le droit de tirer le premier, fixa le but avec une grande attention, mesurant long-temps de l’œil la distance, pendant qu’il tenait à la main l’arc recourbé et la flèche déjà posée sur la corde. À la fin il fait un pas en avant, et, levant son arc presque au niveau de son front, il retire la corde vers son oreille. Le trait fend l’air avec bruit, et va s’enfoncer dans le cercle intérieur du bouclier, mais non exactement au centre.

« Vous n’avez pas eu égard au vent, Hubert, » lui dit Locksley en bandant son arc ; « autrement vous eussiez tout-à-fait réussi. » En disant ces mots, et presque sans viser, Locksley se plaça à l’endroit indiqué, et décocha sa flèche avec une telle insouciance qu’on eût dit qu’il n’avait pas même regardé le but. Il parlait encore au moment que la flèche partit ; cependant elle frappa le centre du bouclier deux pouces plus près que celle d’Hubert.

« Par la lumière du ciel ! s’écria le prince Jean, si tu te laisses vaincre par ce drôle, tu es digne des galères. »

Hubert avait une phrase de prédilection qu’il appliquait à tout. « Dût Votre Altesse me condamner à la potence, un homme ne peut faire que de son mieux. Cependant mon bisaïeul portait un bon arc…

— Peste soit de ton bisaïeul et de toute sa race ! » s’écria le prince en l’interrompant ; « lance ta flèche, malheureux, et vise de ton mieux, ou gare à toi ! »

Stimulé de la sorte, Hubert reprit sa place, sans négliger la précaution recommandée par son adversaire ; il calcula l’effet du vent sur sa flèche déjà levée, et la lança avec tant de justesse, qu’elle atteignit juste le milieu du bouclier.

« Bravo, Hubert ! bravo ! » cria le peuple qui s’intéressait plus à lui qu’à un inconnu ; « vive à jamais Hubert ! »

« Je te défie de frapper plus juste, Locksley, » dit le prince avec un sourire ironique.

« Cependant je veux faire une entaille à sa flèche, » reprit Locksley ; et visant avec un peu plus de précaution que la première fois, il fit partir le trait, qui frappa juste sur la flèche d’Hubert et la mit en pièces. Le peuple fut tellement surpris d’une adresse aussi merveilleuse, que, se levant spontanément, il s’écria : « Bravo ! bravo ! — C’est un diable, et non un homme, » murmuraient entre eux les archers ; « jamais pareil prodige ne s’est vu, depuis le jour où pour la première fois un arc fut bandé en Angleterre. »