Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/144

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due qu’inégale, s’il n’eût été sur-le-champ averti du danger qui le menaçait par un cri que les assistants, qui lui portaient un intérêt marqué, poussèrent comme à l’envi : « Garde à vous ! gare ! chevalier déshérité… » Il vit aussitôt le péril, et déchargeant un coup terrible au templier, il fit au même instant reculer son cheval, pour éviter le double choc d’Athelstane et de Front-de-Bœuf, qui passèrent des deux côtés opposés, entre l’objet de leur attaque et le templier, pouvant à peine retenir leurs chevaux : s’en étant enfin rendus maîtres, ils revinrent sur l’ennemi, et tous trois unirent leurs efforts pour faire vider les arçons au chevalier déshérité. Rien n’aurait pu le sauver de ce triple choc, sans la force remarquable et l’étonnante agilité de son noble coursier, prix de la victoire de la veille.

Ce coursier lui rendit un signalé service en le faisant profiter de la position défavorable de ses adversaires. Le cheval de Bois-Guilbert était blessé ; ceux de Front-de-Bœuf et d’Athelstane pliaient sous le poids de leurs maîtres et des lourdes armures dont ils étaient couverts, et en outre l’un d’eux avait déjà combattu la veille. Le chevalier déshérité sut profiter de ces divers avantages : il fit manœuvrer son coursier de manière à tenir pendant quelques instants ses trois adversaires en respect, les écartant tour à tour avec la pointe de son épée en tournant sur lui-même avec l’agilité d’un faucon, ou se précipitant tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre, en leur déchargeant de vigoureux coups d’estoc et de taille, sans jamais leur laisser le temps de se reconnaître et de frapper à propos.

Mais, quoique la lice retentît des applaudissements prodigués à l’habileté et au courage du chevalier inconnu, il était évident qu’il finirait par succomber ; et les seigneurs qui entouraient le prince Jean le conjurèrent d’une voix unanime de jeter dans l’enceinte son bâton de commandement, et d’épargner à un si brave chevalier l’humiliation d’être vaincu par le nombre. « Non, par la lumière du ciel ! répondit Jean ; ce même chevalier qui cache son nom et méprise l’hospitalité que nous lui avons offerte, a déjà remporté un prix ; il est juste que d’autres aient maintenant leur tour. » Comme il parlait ainsi, un incident imprévu vint changer la face du combat.

Dans la troupe commandée par le chevalier déshérité il se trouvait un champion couvert d’une armure noire, monté sur un cheval de même couleur ; il était d’une grande taille et paraissait d’une force extraordinaire. Ce chevalier, qui ne portait aucune espèce de devise sur son bouclier, n’avait semblé prendre jusqu’alors qu’un