Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/142

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opposé répondait : « Desdichado ! Desdichado[1] ! » cri de guerre qu’il avait pris de la devise gravée sur le bouclier de son chef.

Les deux partis combattaient avec une inexprimable furie. Le succès était balancé, et la victoire flottait incertaine entre eux. Le cliquetis des armes et les cris des champions, se mêlant au son aigu des trompettes, étouffaient les gémissements de ceux qui succombaient et qui roulaient sous les pieds des chevaux. Les éclatantes armures des guerriers, alors couvertes de poussière et de sang, se brisaient sous les coups redoublés du glaive et de la hache d’armes. Les plumes blanches qui décoraient les casques voltigeaient au gré de la brise, comme des flocons de neige. Tout ce qu’il y avait de brillant et de gracieux dans le costume militaire s’était évanoui ; ce qui en restait n’excitait plus que la crainte ou la pitié.

Cependant tel est l’empire de l’habitude, que non seulement la foule obscure des spectateurs, qui aime naturellement les scènes sanglantes, mais que les dames elles-mêmes du haut des galeries regardaient la mêlée non pas sans éprouver, on le pense bien, une certaine émotion, mais sans qu’il leur vînt la moindre envie de détourner les yeux d’une lutte aussi terrible. En divers lieux de ces galeries on voyait, il est vrai, les joues de la beauté pâlir, et on l’entendait pousser un faible cri lorsqu’un amant, un frère ou un époux était jeté de son cheval sur la poussière ; mais, en général, les femmes encourageaient les combattants, soit en frappant des mains, soit même en s’écriant : « Brave lance ! bonne épée ! » si un trait de courage ou un coup vigoureux venait les étonner. Au singulier intérêt que prenait le beau sexe à ces joutes sanglantes, il est aisé de sentir que les hommes en témoignaient un bien plus vif encore. Cet intérêt se manifestait par de bruyantes acclamations chaque fois qu’un parti paraissait avoir l’avantage, et tous les yeux étaient fixés sur l’arène, comme si les spectateurs eux-mêmes eussent donné ou reçu les coups qu’ils se bornaient à contempler. En-

  1. Déshérité ! Déshérité ! devise du chevalier Ivanohe. a. m.