Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/128

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le sac, je suis sûr que tu as plus de pièces d’or que tu ne disais. »

Gurth lui fit une grimace qui approchait du rire, et il répondit : « Environ la même quantité que tu viens d’en compter avec tant de soin. » Il plia alors la quittance et la mit dans sa toque, en ajoutant : « Malheur à ta barbe, Juif, si cette quittance n’est pas en règle. » Il remplit alors sans y être prié, et vida une troisième coupe de vin, puis il quitta l’appartement sans aucune cérémonie.

« Rébecca, dit le Juif, cet Ismaélite a dépassé toutes bornes ; il me semble effronté. Mais n’importe, son maître est un bon jeune homme, et je suis bien aise qu’il ait gagné des shekels d’or, des shekels d’argent, grâce à la vigueur de son cheval et à la force de sa lance, qui, comme celle de Goliath le Philistin, pourrait se comparer en puissance au cylindre qui retient la toile du tisserand[1]. » Comme il se retournait pour recevoir la réponse de Rébecca, il s’aperçut que pendant sa dispute avec Gurth elle avait disparu de l’appartement.

Cependant le porcher venait de descendre l’escalier, et, parvenu dans une antichambre, salle obscure, il tâtonnait pour découvrir la porte de sortie, lorsqu’une femme vêtue en blanc, qui portait à la main une petite lampe d’argent, l’appela vers la pièce voisine. Gurth éprouvait quelque répugnance à lui obéir : rude et impatient comme le sanglier sauvage, partout où la force corporelle devait se montrer, il avait tous les caractères de la terreur d’un Saxon touchant les spectres, les apparitions d’esprits de la forêt, les femmes blanches, et toutes les superstitions rapportées de la Germanie. Il se souvint en outre qu’il était dans la maison d’un Juif, peuple auquel un préjugé universel attribuait la science de la cabale et de la nécromancie. Cependant après un moment de silence il se détermina à suivre l’apparition jusque dans la pièce où elle voulait l’entraîner.

« Mon père n’a voulu que plaisanter avec toi, mon ami, lui dit Rébecca qu’il trouva dans cet appartement, il doit à ton maître beaucoup plus, dix fois plus que l’armure et le coursier ne valent. Quelle somme as-tu payée à mon père ?

— Quatre-vingts sequins, dit Gurth étonné de la question.

— Tu en trouveras cent, répondit Rébecca, dans cette bourse que je te prie d’accepter. Rends à ton maître ce qui lui est dû, et garde pour toi le reste. Hâte-toi, va-t’en, ne t’arrête point pour

  1. Comparaison biblique empruntée à ce passage : « La hampe de sa lance était comme ces grands bois dont se servent les tisserands, etc. » Les Rois, chap. xvii, verset 7. a. m.