Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

célébrité. Le ventre plus rebondi de Niel, ses manières moins civiles que par le passé, montraient que sa fortune avait suivi l’accroissement de son embonpoint ; car, en Écosse, la complaisance d’un aubergiste pour ses hôtes est en raison inverse de sa prospérité. Sa fille avait acquis l’air d’une fille de comptoir avisée, ne s’inquiétant ni d’amour, ni de guerre, ni d’aucune chose au monde, et se renfermant dans les fonctions qu’elle avait à remplir. Tous deux ne donnèrent à Morton que le degré d’attention que pouvait mériter un étranger qui voyageait sans suite, à une époque où une suite nombreuse était une marque particulière de distinction. Il se renferma donc dans le rôle modeste que son extérieur annonçait, alla à l’écurie, vit panser son cheval, puis rentra dans la maison, et s’assit dans la salle commune ; car demander une chambre particulière, c’eût été donner à penser qu’il désirait n’être vu de personne. C’était là que, quelques années auparavant, il avait célébré son triomphe éphémère qui avait eu de si sérieuses conséquences.

Il se trouvait lui-même, comme on le peut croire, bien changé depuis cette fête ; et cependant les groupes qu’il voyait dans la salle ne lui semblaient pas différents de ceux qu’il y avait vus autrefois. Deux ou trois bourgeois buvaient à petites gorgées leur mesure d’eau-de-vie ; quelques dragons se régalaient d’un pot d’ale trouble, maudissant la paix qui ne leur permettait pas de faire meilleure chère. Leur cornette, il est vrai, ne jouait pas au trictrac avec le curé en soutane, mais il buvait une petite mesure d’eau admirable avec le ministre presbytérien en manteau gris. C’étaient la même scène, les mêmes rôles, mais non les mêmes acteurs.

« Les générations s’élèvent et tombent tour à tour, pensa Morton, mais on trouvera toujours assez de gens pour remplir les places que le hasard rend vacantes ; et les hommes se succèdent dans les occupations et les amusements de la vie, comme les feuilles sur un même arbre, avec leurs différences individuelles et une ressemblance générale. »

Au bout de quelques minutes, Morton, qui connaissait par expérience le meilleur moyen de fixer l’attention de son hôte, demanda une pinte de claret, et lorsque Niel arriva en souriant avec la mesure d’étain remplie d’une liqueur qui moussait encore, car elle sortait du poinçon (on ne mettait pas alors le vin en bouteille), il l’invita à s’asseoir et à boire avec lui. Cette invitation fut reçue avec un