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auriez bien pu dire mistress Wilson de Milnwood. — Je vous demande pardon, » répondit Morton, souriant en lui-même de retrouver la vieille Ailie aussi prompte qu’autrefois à se fâcher quand on oubliait les égards auxquels elle croyait avoir droit. « Je vous demande pardon ; je suis étranger en ce pays ; j’ai été si long-temps sur le continent, que j’ai presque oublié ma propre langue. — Vous venez des pays étrangers ? reprit la vieille Ailie. Auriez-vous, par hasard, entendu parler d’un jeune homme de ce pays, nommé Henri Morton ? — J’ai entendu prononcer ce nom en Allemagne. — Alors attendez-moi un moment, là où vous êtes. Ou plutôt, faites le tour de la maison ; vous trouverez une porte de derrière qui n’est fermée qu’au loquet, car on ne met les verrous qu’après le soleil couché ; vous l’ouvrirez ; vous prendrez garde de tomber dans le baquet d’eau qui est auprès, car l’entrée est obscure ; vous tournerez à droite, et, après avoir fait quelques pas en avant, vous tournerez de nouveau à droite, en ayant soin de faire attention à l’escalier de la cave. Là vous trouverez la porte de la petite cuisine… c’est-à-dire de la seule cuisine qu’il y ait maintenant à Milnwood… J’irai vous y rejoindre, et vous pourrez me dire en toute sûreté ce que vous aviez à dire à mistress Wilson. »

Malgré les instructions minutieuses d’Ailie, un étranger aurait eu quelque peine à se diriger à travers l’obscur labyrinthe de passages qui conduisaient de la porte de derrière à la petite cuisine ; mais Henri les avait trop souvent parcourus pour ne pas éviter le double écueil qui le menaçait : d’un côté, Scylla sous la forme d’une cuve à lessive ; et de l’autre Charybde, qui ouvrait ses gouffres dans les obscurs détours d’un escalier de cave. Il ne rencontra d’autre obstacle que les cris et les aboiements furieux d’un petit épagneul, jadis le sien, mais qui, bien différent du fidèle Argus[1], vit son maître revenir de ses longs voyages sans témoigner en aucune façon qu’il le reconnaissait.

« Il en est de lui comme de tous les autres, » se dit en lui-même Morton en se voyant si mal accueilli par son ancien favori. « Je suis tellement changé qu’aucune créature vivante que j’ai connue et aimée ne me reconnaîtra ! »

En se parlant ainsi, il entra dans la cuisine, et, quelques instants après, le bruit des hauts talons de mistress Ailie et de la canne à bec de corbin qui servait à la fois à guider et à hâter ses pas,

  1. Nom du chien d’Ulysse, dans l’Odyssée. a. m.