Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/373

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il ne put se défendre de cette impression mélancolique, et cependant pleine de charmes, qu’une âme sensible éprouve lorsqu’après avoir essuyé les vicissitudes et les tempêtes de la vie politique, elle se retrouve aux lieux où s’écoulèrent son enfance et sa jeunesse. Il sentit un vif désir d’entrer dans le château.

« Mistress Alison, » se dit-il en lui-même, « ne me reconnaîtra pas plus que l’honnête couple que j’ai vu hier. Je pourrai satisfaire ma curiosité, puis continuer mon voyage sans qu’elle se doute que je suis devant elle. On m’a dit que mon oncle lui a légué son domaine… n’importe : j’ai assez de chagrins pour ne pas m’attrister encore à ce sujet. Il a, ce me semble, donné, dans la personne de cette vieille grondeuse, un singulier successeur à une suite d’aïeux, sinon fort célèbres, au moins fort respectables ; mais qu’il en soit selon qu’il a voulu, je visiterai une fois encore le vieux château. »

Le manoir de Milnwood, dans ses plus beaux jours, n’avait jamais eu un aspect bien gai : mais il semblait devenu plus sombre encore entre les mains de la vieille gouvernante. Tout, à la vérité, y était parfaitement en ordre : pas une ardoise ne manquait sur le toit presque perpendiculaire, pas un carreau aux étroites fenêtres ; mais on aurait dit, à l’herbe qui croissait dans la cour, que le pied de l’homme n’avait pas passé par là depuis bien des années. Les portes étaient soigneusement fermées, et celle qui donnait entrée dans le vestibule ne paraissait pas avoir été ouverte depuis long-temps, puisque les araignées avaient à loisir suspendu leurs toiles aux linteaux et aux gonds. Morton, après avoir frappé à plusieurs reprises, entendit enfin ouvrir avec beaucoup de précaution la petite lucarne à travers laquelle on avait coutume de reconnaître les visiteurs ; la figure d’Alison, ornée de quelques rides de plus que quand il avait quitté l’Écosse, se présenta enveloppée dans un toy[1] qui laissait s’échapper plusieurs tresses de cheveux gris dont l’aspect était tant soit peu pittoresque. Elle demanda, d’une voix aigre et tremblotante plutôt que gracieuse, pourquoi l’on frappait ainsi.

« Je désire parler un instant à Alison Wilson qui demeure ici, répliqua Henri. — Elle n’est pas aujourd’hui à la maison, » répondit mistress Wilson à qui l’état un peu négligé de sa coiffure inspirait peut-être le désir de se renier ainsi elle-même. « Mais vous n’êtes qu’un mal appris de parler d’elle de la sorte. Vous

  1. Ancienne coiffure écossaise. a. m.