Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/268

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maintenant à Son Honneur ; contez-lui, comme une brave fille, ce que vous vouliez dire à lord Evandale. — Qu’est-ce que je voulais dire à son Honneur même l’autre matin, quand j’allais le visiter dans sa prison ? répondit Jenny. Pensez-vous qu’on ne puisse désirer de voir ses amis dans l’affliction sans avoir rien de particulier à leur dire, gros mangeur de soupe ? »

Jenny fit cette réponse avec sa volubilité ordinaire ; mais sa voix et sa main tremblaient, ses joues étaient pâles et décolorées, ses yeux pleins de larmes, et toute sa personne portait les traces de souffrances et de privations récentes ainsi que d’une agitation extraordinaire.

« Qu’y a-t-il, Jenny ? » dit Morton affectueusement. « Vous savez que je vous ai de grandes obligations, et vous ne pouvez rien me demander que je ne vous l’accorde si cela dépend de moi. — Grand merci, Milnwood, » dit la jeune fille en pleurant. « Vous avez toujours été un bon jeune homme, quoiqu’on dise que vous êtes bien changé maintenant. — Que dit-on de moi, Jenny ? — On dit, répliqua Jenny, que vous et les whigs avez fait vœu de jeter le roi Charles à bas de son trône, et que ni lui ni ses descendants, de génération en génération, n’y remonteront jamais ; de plus, John Gudyill affirme que vous donnerez les orgues des églises aux joueurs de flûtes, et que vous ferez brûler le livre des prières par la main du bourreau, en représailles de ce que le Covenant a été brûlé quand le roi est revenu. — Mes amis de Tillietudlem me jugent trop sévèrement, répondit Morton. Je désire le libre exercice de ma religion sans entraver celle des autres ; et quant à la famille Bellenden, je souhaite seulement une occasion de lui montrer que j’ai conservé pour elle la même amitié et le même dévouement. — Le ciel vous récompense de parler ainsi ! » dit Jenny en versant un torrent de larmes : « jamais ils n’ont eu plus grand besoin d’amitié et de dévouement, car, dépourvus de tout, ils périssent de faim. — Bon Dieu ! s’écria Morton. J’avais entendu dire que les provisions étaient rares au château, mais non pas qu’elles y manquaient entièrement. Est-il possible !… Les dames et le major ont-ils ?… — Ils ont souffert comme nous autres, car ils partageaient chaque morceau avec les habitants du château. Mes pauvres yeux voient cinquante couleurs confuses, et ma tête est si troublée par les vertiges que je ne puis me soutenir. »

La pâleur de la pauvre fille et la maigreur de ses joues attestaient la vérité de ce qu’elle disait. Morton fut profondément ému.