Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/155

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fait indifférent aux divers arrangements qu’on faisait pour s’assurer de lui, et même au soulagement qu’on lui avait procuré en lui ôtant ses fers. Il éprouvait ce vide du cœur qui suit l’orage des passions, et, n’étant plus soutenu par l’orgueil et le sentiment de droiture qui dictaient ses réponses à Claverhouse, il contemplait avec une tristesse profonde les bosquets qu’il traversait, dont chaque détour lui rappelait son bonheur passé et son amour déçu. L’éminence qu’il montait alors était celle d’où partaient toujours son premier et son dernier regard vers la vieille tour quand il s’en approchait et quand il la quittait ; et il est inutile d’ajouter qu’il avait l’habitude de s’arrêter là pour contempler avec la curiosité d’un amant ces créneaux qui, s’élevant de loin au-dessus de la cime du bois, indiquaient la demeure de celle qu’il espérait voir bientôt ou qu’il venait de quitter. Il tourna la tête involontairement pour jeter un dernier regard sur une scène naguère si chère ; il poussa aussi un profond soupir, auquel répondit par un gémissement son compagnon d’infortune dont les yeux, guidés probablement par de semblables réflexions, avaient pris la même direction. Ces accents de sympathie de la part du captif furent proférés sur un ton plus grossier que sentimental ; ils étaient néanmoins l’expression d’une âme affligée, et sous ce rapport ils s’accordaient avec le soupir de Morton. En tournant la tête, leurs yeux se rencontrèrent, et Morton reconnut la physionomie rustique de Cuddie Headrigg portant une empreinte de tristesse, où le chagrin de son propre sort se mêlait à la douleur que lui inspirait celui de son compagnon.

« Hélas ? monsieur, » s’écria le ci-devant laboureur des domaines de Tillietudlem, « n’est-ce pas une triste chose que d’honnêtes gens soient conduits ainsi à travers le pays, comme s’ils étaient une des merveilles du monde ? — Je suis fâché de vous voir ici, Cuddie, » dit Morton, qui, même dans son malheur, ne perdait rien de sa sensibilité pour celui des autres. — Et moi aussi, monsieur Henri, répondit Cuddie, autant pour vous que pour moi ; mais notre chagrin commun ne nous servira guère, à ce que je puis voir. Certes, quant à moi, » continua le villageois captif, qui soulageait son cœur en parlant, quoiqu’il sût bien qu’il n’en serait pas plus avancé ; « certes, quant à moi, je n’ai pas mérita d’être ici, car je n’ai jamais dit un mot ni contre le roi ni contre le prêtre ; mais ma mère, pauvre femme ! ne pouvait retenir sa vieille langue, et il paraît que je dois payer pour nous deux.