Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/117

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faisait entrer Jenny et sa parente supposée ; il la referma sur elles, et reprit avec empressement le pas irrégulier et le monotone sifflet à l’aide desquels le soldat en faction tue le temps.

La porte, qui s’ouvrit lentement, laissa voir Morton, les deux bras appuyés sur la table et le front entre ses mains, dans la posture d’un profond abattement. Il leva la tête, et, en apercevant les femmes qui franchissaient le seuil, fit un mouvement de vive surprise. Édith, comme si la réserve de son sexe eût affaibli le courage que le désespoir lui avait donné, restait à quelque distance de la porte, sans avoir la force de parler ou d’avancer. Tous les plans de secours, de délivrance et de consolation, qu’elle s’était promis de développer devant son amant, semblaient s’être effacés tout à coup de son souvenir, et ne lui laissaient qu’un chaos d’idées pénibles, auquel se mêlait la crainte d’être dégradée aux yeux de Morton par une démarche qui pourrait lui paraître précipitée et peu digne d’une femme. Elle restait appuyée sans mouvement et presque sans force sur le bras de sa suivante, qui cherchait en vain à la rassurer et à lui inspirer du courage, en lui disant tout bas : « Nous sommes entrées maintenant, madame, et il faut employer notre temps ; car, sans doute, le caporal ou le sergent va faire sa ronde, et il serait fâcheux que le pauvre garçon fût puni de sa politesse. »

Pendant ce temps, Morton avançait timidement, soupçonnant la vérité ; car quelle autre femme qu’Édith pouvait prendre intérêt à ses malheurs ? Et cependant il craignait que le crépuscule douteux et son déguisement ne lui fissent commettre quelque méprise qui pût nuire à l’objet de son amour. Jenny, dont l’esprit présent et la hardiesse la rendaient bien capable d’un pareil office, se hâta de détruire toute incertitude.

« Monsieur Morton, miss Édith est très-chagrine de votre malheur actuel, et… »

Il était inutile d’en dire davantage ; il était à ses côtés, presque à ses pieds, serrant ses mains sans résistance, et l’accablant de remercîments et d’expressions de gratitude qui seraient à peine intelligibles, à moins que nous ne puissions décrire le ton, les gestes et les signes des sentiments profonds qui accompagnaient ses paroles hâtées et entrecoupées.

Pendant deux ou trois minutes, Édith resta aussi immobile que la statue d’une sainte qui reçoit les hommages d’un dévot, et quand elle se remit assez pour retirer ses mains que Henri avait