Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/76

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— Les grands arbres fluets, au feuillé sobre et rare,
À peine noircissant leurs pieds d’une ombre avare,
Montent comme la flèche et vont baigner leur front
Dans la limpidité du ciel clair et profond ;
Comme s’ils dédaignaient les plaisirs de la terre,
Pour cacher une nymphe ils manquent de mystère :
Leurs branches, laissant trop filtrer d’air et de jour,
Éloignent les désirs et les rêves d’amour ;
Sous leur grêle ramure un maigre anachorète
Pourrait seul s’abriter et choisir sa retraite.

Nulle fleur n’adoucit cette sévérité ;
Nul ton frais ne se mêle à la fauve clarté ;
Des blessures du roc, ainsi que des vipères
Qui sortent à demi le corps de leurs repaires,
De pâles filaments d’un aspect vénéneux
S’allongent au soleil en enlaçant leurs nœuds ;
Et l’oiseau pour sa soif n’a d’autre eau que les gouttes —
Pleurs amers du rocher — qui suintent des voûtes.
Cependant ce désert a de puissants attraits
Que n’ont point nos climats et nos sites plus frais,
Où l’ombrage est opaque, où dans des vagues d’herbes
Nagent à plein poitrail les génisses superbes :
C’est que l’œil éternel brille dans ce ciel bleu,
Et que l’homme est si loin qu’on se sent près de Dieu.

Ô mère du génie ! ô divine nourrice !
Des grands cœurs méconnus pâle consolatrice,
Solitude ! qui tends tes bras silencieux
Aux ennuyés du monde, aux aspirants des cieux,
Quand pourrai-je avec toi, comme le vieil ermite,
Sur le livre pencher ma tête qui médite ?

Plus loin, c’est Aligny, qui, le crayon en main,