J’ai vu les plus purs fronts rouler après l’orgie
Parmi les flots de vin, sur la nappe rougie ;
J’ai vu les fins de bal
Et la sueur des bras, et la pâleur des têtes
Plus mornes que la mort sous leurs boucles défaites
Au soleil matinal.
Comme un mineur qui suit une veine inféconde,
J’ai fouillé nuit et jour l’existence profonde
Sans trouver le filon.
J’ai demandé la vie à l’amour qui la donne,
Mais vainement ; je n’ai jamais aimé personne
Ayant au monde un nom.
J’ai brûlé plus d’un cœur dont j’ai foulé la cendre,
Mais je restai toujours comme la Salamandre,
Froid au milieu du feu.
J’avais un idéal frais comme la rosée,
Une vision d’or, une opale irisée
Par le regard de Dieu ;
Femme, comme jamais sculpteur n’en a pétrie,
Type réunissant Cléopâtre et Marie,
Grâce, pudeur, beauté ;
Une rose mystique, où nul ver ne se cache,
Les ardeurs du volcan et la neige sans tache
De la virginité !
Au carrefour douteux, Y grec de Pythagore,
J’ai pris la branche gauche et je chemine encore
Sans arriver jamais.
Trompeuse volupté, c’est toi que j’ai suivie,
Et peut-être, ô vertu ! l’énigme de la vie ;
C’est toi qui la savais.
Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/53
Cette page n’a pas encore été corrigée