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Où nous traçons des mots en syllabes de feu ;
Vous savez cela.

Vénus.
Vous savez cela. Moi, j’étais l’heureuse Étoile
D’un jeune homme charmant, et jamais, sur la toile
Ou dans le marbre, Apelle ou Phidias n’ont fait
Un rêve de beauté plus pur et plus parfait.
Le jour à peine éteint, je partais. Ma lumière
Sur la terre endormie arrivait la première.
J’avais des précédents : Phœbé jadis a mis
Des baisers argentés sur des yeux endormis !
Cet exemple divin me rendit moins peureuse,
Et de mon protégé je devins amoureuse,
Comme autrefois Phœbé le fut d’Endymion.
Sur son front mon baiser, tremblant dans un rayon,
Tombait au fond des bois par les trous des guipures
Que les feuillages font avec leurs découpures.
Dans sa mansarde aussi, nid de fleurs sur les toits,
À travers les parfums je me glissais parfois.
Ces soirs-là, la moitié de la route était faite,
Car je venais du ciel et c’était un poète !
Le coude à la fenêtre, il rêvait, il pensait ;
Je lisais dans son cœur le vers qu’il commençait !
Charmée, à chaque idée ou touchante ou sublime,
D’un reflet caressant j’illuminais la rime.
Dans ses chants il parlait d’un idéal amour,
D’une vision d’or, qu’obscurcissait le jour
Et que, toutes les nuits, il sentait sur son âme
Passer comme un esprit de lumière et de flamme !
Il m’avait devinée, ô bonheur sans pareil !
Et moi, sans voir le jour luire au vitrail vermeil,
Sans entendre là-haut gazouiller l’alouette,
Je restais sur la terre aux bras de mon poète.