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A peine, au dernier jour, lèveront-t-ils la tête
Quand les cieux trembleront au cri de la trompette
Et qu’un vent inconnu soufflera les flambeaux.

Après le jugement, l’ange en faisant sa ronde
Retrouvera leurs os sur les débris du monde ;
Car aucun de ceux-là ne doit ressusciter.

Le Christ lui-même irait comme il fit au Lazare
Leur dire : Levez-vous ! que le sépulcre avare
Ne s’entr’ouvrirait pas pour les laisser monter.

Mes vers sont les tombeaux tout brodés de sculptures,
Ils cachent un cadavre, et sous leurs fioritures
Ils pleurent bien souvent en paraissant chanter.

Chacun est le cercueil d’une illusion morte ;
J’enterre là les corps que la houle m’apporte
Quand un de mes vaisseaux a sombré dans la mer ;

Beaux rêves avortés, ambitions déçues,
Souterraines ardeurs, passions sans issues,
Tout ce que l’existence a d’intime et d’amer.

L’océan tous les jours me dévore un navire,
Un récif, près du bord, de sa pointe déchire
Leurs flancs doublés de cuivre et leur quille de fer.

Combien j’en ai lancé plein d’ivresse et de joie
Si beaux et si coquets sous leurs flammes de soie.
Que jamais dans le port mes yeux ne reverront !

Quels passagers charmants, têtes fraîches et rondes,
Désirs aux seins gonflés, espoirs, chimères blondes ;
Que d’enfants de mon cœur entassés sur le pont !