Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/197

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Je ne sais pas d’histoire et n’ai pas de maîtresse,
— Pas même un conte bleu, — pas méme une duchesse,
Je n’ai pas voyagé, — que vous dirai-je donc ?

Si le diable venait, en vérité, madame,
Pour un conte inédit je lui vendrais mon âme :
Ma faute est, je l’avoue, indigne de pardon.

Eh quoi ? pas un seul mot ! — pas une seule phrase !
Par l’eau de Castalie et l’aile de Pégase,
Clio, tu me paîras un si lâche abandon !

Le menton dans la main, les talons dans la braise,
Je suis là, l’œil en l’air, renversé sur ma chaise ;
J’ai bien tout ce qu’il faut, — la plume et le papier, —

Il ne me manque rien, — presque rien, — une idée ! —
Mon brouillon, de dessins, a la marge brodée :
Ariel aujourd’hui se fait longtemps prier.

Ainsi qu’au bord d’un puits un pigeon qui veut boire,
Ma Muse tord son col aux beaux reflets de moire,
Et n’ose pas tremper son bec dans l’encrier.

— Je n’imagine rien de sublinie et de rare,
Sinon : — c’est une femme avec une guitare,[1]
Et puis un cavalier penché sur un fauteuil.

Vous le voyez fort bien sans que je vous le dise : —
Quand on a regardé, quel besoin qu’on me lise ?
Au burin du graveur je soumets mon orgueil.

  1. Cette pièce a été faite en 1838 pour un keepsake, où elle accompagnait une gravure représentant une dame assise jouant de la guitare ; un cavalier se penche sur le dossier de son siège.