Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/164

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Qui semble présider le lugubre chapitre ;
D’un geste machinal il bénit vaguement
Tout le peuple livide autour de lui dormant.
Son front luit comme un os, et, dans ses dures pinces,
L’agonie a serré son nez aux ailes minces ;
Aux angles de sa bouche, aux plis de son menton,
Déjà la moisissure a jeté son coton ;
Le ver ourdit sa toile au fond de ses yeux caves,
Et, marquant leur chemin par l’argent de leurs baves,
Les hideux travailleurs de la destruction
Font sur ce maigre corps leur plaie ou leur sillon ;
Par ses gants décousus entre la mouche noire,
Et le gusano court sur ses habits de moire.
Tous ces affreux détails sont peints complaisamment,
Comme un portrait chéri tracé par un amant,
Et nul Italien rêvant de sa madone,
Dans l’outremer limpide et dans l’air qui rayonne,
Plus amoureusement n’a caressé les traits
De quelque Fornarine aux célestes attraits.

Plus loin, c’est un bravache à la moustache épaisse,
Armé de pied en cap en son étroite caisse.
La putréfaction qui lui gonfle les chairs
Au bistre de son teint a mêlé des tons verts ;
Sa tête va rouler comme une orange mûre,
Car le ver a trouvé le joint de son armure.
Hélas ! fier capitan, le maigre spadassin
A sa botte secrète et son coup assassin :
Fût-on prévôt de salle ou maître en fait d’escrime,
Dans ce duel suprême on est toujours victime.

Au dernier plan, couverts de linceuls en lambeaux,
Des morts de tout état, jadis jeunes et beaux,
Elégants cavaliers, superbes courtisanes,