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IN DESERTO



Les
pitons des sierras, les dunes du désert,
Où ne pousse jamais un seul bin d’herbe vert ;
Les monts aux flancs zébrés de tuf, d’ocre et de marne,
Et que l’éboulement de jour en jour décharne,
Le grès plein de micas papillotant aux yeux,
Le sable sans profit buvant les pleurs des cieux,
Le rocher refrogné dans sa barbe de ronce,
L’ardente solfatare avec la pierre-ponce,
Sont moins secs et moins morts aux végétations
Que le roc de mon cœur ne l’est aux passions.
Le soleil de midi, sur le sommet aride
Répand à flots plombés sa lumière livide,
Et rien n’est plus lugubre et désolant à voir
Que ce grand jour frappant sur ce grand désespoir.
Le lézard pâmé bâille, et parmi l’herbe cuite
On entend résonner les vipères en fuite.
Là, point de marguerite au cœur étoilé d’or,
Point de muguet prodigue égrenant son trésor ;
Là, point de violette ignorée et charmante,
Dans l’ombre se cachant comme une pâle amante ;
Mais la broussaille rousse et le tronc d’arbre mort,
Que le genou du vent comme un arc plie et tord.